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il avait demandé l’envoi, par des courriers. extraordinaires, de la loi de grande police pour prévenir les excès dont on était menacé sur tous les points de la république ; il avait de nouveau exposé les entraves apportées à l’arrivage des subsistances, les mesures prises pour les lever, et annoncé que, le jour même où il parlait, 714,000 liv. de pain avaient été distribuées dans Paris ; enfin les nombreux rapports de Boissy sur les subsistances, et ses assertions qu’elles étaient assurées quand le pain manquait partout, lui avaient fait donner par le peuple, et dans les pamphlets du temps, le sobriquet de Boissy-Famine, lorsque la journée du 12 germinal an 5 (1er avril 1795) commença la renommée historique de Boissy d’Anglas. Il était à la tribune, il avait commencé un rapport sur le système de l’ancien gouvernement dans la partie des subsistances. Soudain, dans la salle où la convention siégeait aux Tuileries, déborde comme un torrent une populace ivre et désordonnée, précédée de sales drapeaux en guenilles, hurlant et vociférant : La constitution de 1793 et du pain ! Tous les bancs des députés sont envahis, la terreur règne dans l’enceinte où elle s’était organisée, et plus d’un visage a pâli. Boissy d’Anglas reste impassible à la tribune : toute délibération est suspendue ... Enfin le bruit des tambours battant la générale domine et fait taire les clameurs de la multitude. Le son lugubre du tocsin, placé depuis trois jours dans le pavillon de l’Horloge (qu’on appelait alors pavillon de l’Unité), est entendu ; l’effroi se répand dans la foule ameutée, elle s’échappe par toutes les issues, et disparaît subitement. Boissy reprend tranquillement son rapport, et l’assemblée, qui s’étonne et qui admire, a repris elle-même le cours de ses délibérations avec un calme digne des temps antiques. Un décret prononce la déportation de Collot d’Herbois, de Barère, de Billaud-Varenne et de Vadier ; un autre décret met en arrestation Amar, Choudieu, Léonard Bourdon, avec cinq autres conventionnels montagnards ; et par un troisième décret, Pichegru est nommé général en chef de la garde nationale parisienne. Six jours après, Boissy d’Anglas fut élu soixante-quatrième président de la convention. C’est à cette époque que Chazal proposa de faire choix, pour gouverner, de vingt-quatre membres qui ne pourraient siéger à la convention pendant l’exercice de leur pouvoir. Sans appuyer cette proposition, Boissy en fit ordonner le renvoi aux comités. Il réclama une mesure générale en faveur des conventionnels, connue ayant été absents a deux appels nominaux en 1795. Le 18 avril (29 germinal), Boissy fut nommé membre de la commission des onze, chargée de la confection des lois organiques de la constitution (1)[1]. Le 30 ventôse (20 mars 1795), il prononça un discours sur la nécessité d’annuler et de réviser les jugements rendus par les tribunaux révolutionnaires, et de rendre aux familles des condamnés les biens confisqués par ces

(1) Les autres membres de cette commission étaient : Cambacérès, Merlin de Douai, Sieyes, Thibaudeau, Laréveillère-l’Épaux, Lesage d’Eure-et-Loir, Creuzé-Latouche, Louvet du Loiret, Berlier et Dannou.

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jugements ; le lendemain, il fit une motion d’ordre contre les terroristes et les royalistes. Cependant les chefs cachés de l’émeute du 12 germinal n’y avaient vu qu’un coup manqué, qu’une révolution avortée, et ils avaient arrêté de mieux prendre leurs mesures. Le 1er prairial (20 mai 1795) fut le jour marqué pour cette nouvelle tentative. Les mêmes instruments et les mêmes moyens sont employés : une foule immense, armée de toutes pièces, et où figurent tous les sexes et tous les âges, se précipite, en grossissant toujours, des faubourgs St-Antoine et St-Marceau, vers les Tuileries, poussant d’horribles clameurs, et prête à tous les excès. Elle s’est recrutée sur son passage de tout ce que Paris renfermait alors d’individus faciles à entraîner au désordre, au meurtre et au pillage. La salle de la convention est de nouveau envahie ; les forces du président Vernier sont bientôt épuisées, il descend du fauteuil ; André Dumont le remplace, comme ancien président mais il sort bientôt de la salle au bruit du tumulte croissant. Boissy d’Anglas, appelé par ses collègues, monte au fauteuil, s’assied et se couvre. Soudain les cris de mort retentissent contre lui ; son visage est calme et son regard sans trouble ; il voit le fer levé sur sa tête, les fusils dirigés contre lui ; il n’est point ému. Son collègue Kervélégan est atteint sous ses yeux et près de la tribune de plusieurs coups de sabre : le président est immobile. Le représentant Féraud vient d’être égorgé ; sa tête, placée au bout d’une pique, promenée dans la salle, s’arrête en face du président : le président se lève, se découvre et la salue religieusement : ni les hurlements de l’émeute, ni les menaces des égorgeurs, ni les piques dirigées sur son sein, ne peuvent le décider à abandonner son siège. Cet exemple héroïque empêche ses collègues de déserter une enceinte où l’anarchie est près de triompher. Quelques orateurs de la montagne demandent, en vociférant, le rétablissement de toutes les lois révolutionnaires, l’arrestation des membres des comités de gouvernement, l’élargissement de tous les détenus depuis le 9 thermidor, le rappel de Barère, Collot et Billaud, des visites domiciliaires, la fermeture des barrières, etc. Boissy semble ne rien voir et ne rien entendre son immobilité frappe la multitude étonnée ... C’était le matin qu’avait commencé le tumulte ; déjà la nuit était venue, les sections s’étaient enfin réunies ; la générale battait, le tocsin retentissait dans les ténèbres ; enfin on entend de la salle envahie le bruit du pas de charge ; et cette populace révoltée, déjà lasse de ses excès et de ses crimes impuissants, saisie d’une épouvante soudaine, prend la fuite, se disperse et s’évanouit en un moment. A onze heures du soir, la convention peut délibérer, et elle ordonne l’arrestation de Romme, Duquesnoy, Prieur de la Marne, Bourbotte, Goujon, Soubrany, Duroy, Albitte l’aîné, Fayau, Rhul, Pinet, Borie, Peissard et Lecarpentier de la Manche. Le lendemain, lorsque Boissy d’Anglas entra dans la salle, il fut salué par des cris unanimes d’enthousiasme : il venait de conquérir dans une seule journée la gloire de toute sa vie. Il fit part de plusieurs traits

  1. (1) Les autres membres de cette commission étaient : Cambacérès, Merlin de Douai, Sieyes, Thibaudeau, Laréveillère-l’Épaux, Lesage d’Eure-et-Loir, Creuzé-Latouche, Louvet du Loiret, Berlier et Dannou.