Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 41.djvu/719

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plus recherchée des amateurs. Cet ouvrage est divisé en trois parties. Dans la première[1], après avoir fait l’histoire de son livre et l’apologie de la langue française, l’auteur traite de l’invention des lettres. Dans la seconde, il parle de l’alphabet latin, du nombre et de la forme des lettres dont il se compose, et de leur proportion avec le corps humain. Il établit que toutes les lettres latines dérivent du nom de la déesse Io ; ce qu’il prouve en montrant qu’elles sont toutes formées d’une ligne droite et d’un cercle, c’est-à-dire d’un i et d’un o. En les divisant en dix lignes, ce qui est la due et vraie proportion des lettres, il trouve des rapports entre ces lignes et les noms d’Apollon et des neuf muses ; preuve que les lettres sont la clef des arts et des sciences (voy. Le Manuel de typographie de Fournier, avertissement). Le troisième livre traite de la prononciation de chaque lettre ; et ce n’est pas le moins curieux. L’ouvrage est terminé par un petit traité des langues hébraïque, grecque et latine, avec leurs alphabets. Enfin il a fait précéder de quelques explications onze planches représentant les alphabets des lettres cadeaux ou quadreaux (anciennes capitales), des lettres de forme, bâtardes, tourneures ; un alphabet prétendu des langues persiennes, arabique, africaine, turque et tartarienne, en une seule planche ; l’alphabet chaldaïque ; l’alphabet goffe, autrement impérial ou

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bullatique, parce qu’il était à l’usage des chancelleries de Rome et d’Allemagne ; l’alphabet fantastique ; l’utopique tiré de l’Utopie de Thom. More (voy. Ce nom) ; l’alphabet des lettres fleuries, et enfin des modèles de chiffres ou lettres entrelacées. Cette analyse rapide doit suffire pour donner une idée de l’ouvrage et justifier l’empressement que les curieux mettent à se le procurer. Des exemplaires ont été payés cinquante-trois à soixante quinze francs en vente publique il y a quelques années, et en 1860 il s’en est trouvé, lors de la mise aux enchères de la belle bibliothèque de M. Félix Solar, deux qui se sont élevés à cent quatre-vingt quinze et à deux cent cinquante-deux francs. De beaux exemplaires de la seconde édition ont été payés quatre-vingt-un et cent vingt et un francs. Outre les auteurs cités dans le courant de l’article, on peut consulter sur Tory les Bibliothèques de Lacroix du Maine et de Duverdier. Un bibliographe fort instruit, M. Auguste Bernard, a publié en 1857, à Paris, un volume intitulé Geoffroy Tory, peintre et graveur, premier imprimeur royal, réformateur de l’orthographe et de la typographie sous François Ier. C’est un travail très curieux qui épuise le sujet dont il traite, et auquel il faut absolument recourir désormais ; cependant M. Bernard n’a point connu un livret et quelques feuillets dont on ne connaît qu’un seul exemplaire appartenant à un bibliophile espagnol, M. de Morante, et intitulé Gotofredi Torini in filiam charissimam apithalamia et dialogi, Parrhisiis, 1523, in-4o. M. A.-F. Didot, dans son Essai sur la gravure sur bois (1863, col. 164) a signalé les services qu’a rendus Tory à l’art et à la littérature.

W.-S.

  1. Cette partie contient l’Exortation à mettre et ordonner en langue française par certaine reigle de parler élégamment en bon et plus sain langage françois, morceau fort remarquable, un des premiers qui aient été écrits en langue vulgaire sur la grammaire française, il est précédé d’un Avis au lecteur, où l’on remarque une critique des Bocumeurs de latin que Rabelais a littéralement copiée au chapitre 6 de son Pantagruel.