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Les fiers Normands, dont on repoussait les prétentions, ne se croyant point les plus forts, demandèrent la permission d’aller offrir leurs services à l’empereur d’Orient, ce que Vladimir se hâta d’accorder, en instruisant sous main l’empereur, et en le priant de ne point permettre a ces hôtes dangereux de rentrer en Russie. La grande-duchesse Olga, aïeule de Vladimir (voy. Olga), avait reçu le baptême à Constantinople (955) ; mais le petit-fils de cette princesse et Swientoslaw, son père, étaient restés attachés aux superstitions nationales, pour lesquelles Vladimir montra un zèle encore plus ardent lorsqu’il se fut emparé de l’empire. La déesse Péroune avait le premier rang parmi les divinités des peuples slaves ; il lui fit ériger une riche statue, qu’il plaça près de son palais. Outre la princesse Rognéda, ce monarque avait trois autres épouses : il eut d’elles les princes Isiaslaw, Mstislaw, Yaroslaw, Mstislaw jeune, Boris et Gleb. Ces quatre femmes demeuraient avec lui à Kiow et dans trois autres résidences, il entretenait, selon l’usage des princes de l’Orient, huit cents concubines. Cet amour effréné des plaisirs n’éteignit point dans son cœur l’ardeur guerrière qu’il avait héritée de son père Swientoslaw. En 981, il se jeta sur les provinces de la Gallicie, dont les Polonais s’étaient emparés sous le règne de son père et de son frère. En 982 et l’année suivante, il soumit les Wiatyczans ou Wiatitches, qui s’étaient révoltés, et il réduisit les Jadzwingowiens, peuples sauvages, qui habitaient les forêts situées entre la Lithuanie et la Pologne. Plus tard, il étendit ses conquêtes au nord-ouest, jusque vers la mer Baltique. La Livonie lui appartenait, ainsi que la Courlande et une partie de la Finlande. Étant revenu à Kiovv, et voulant célébrer ses triomphes par des sacrifices solennels, il fit tirer au sort les jeunes gens des deux sexes, dont le sang devait être versé sur l’autel de ses dieux. Le sort était tombé sur un jeune Varègue appelé Jean : son père, Théodore, qui était chrétien ainsi que lui, le tenait serré dans ses bras, en exhortant le peuple à abandonner ses dieux sanguinaires ; il fut immolé avec son fils. Tous deux sont honorés comme les derniers qui aient souffert le martyre en Russie. Les Radimitches, qui habitaient les bords du Bug et de la San, jusqu’alors tributaires de Kiow, s’étaient déclarés indépendants. Vladimir marcha contre eux. Un de ses généraux, surnommé Queue-de-Loup tomba sur eux, et ils se soumirent. "Depuis cette époque, dit Nestor, écrivain presque contemporain, nous sommes fiers du proverbe qui dit :Les Radimitches craignent les Queues-de-Loup." Une autre conquête appelait l’ambition de Vladimir vers l’Orient. Dans le cours du 7e siècle, les Bulgares orientaux avaient quitté les rives du Don, afin de se soustraire au joug que le khan des Kosars voulait leur imposer. S’étant établis sur les bords du Volga et de la Kama, et s’étant livrés au commerce, ils entretenaient des relations avec tous les peuples de l’Orient. Leurs richesses tentèrent le grand prince ; il descendit le Volga avec l’infanterie tandis que la cavalerie des Torques ou Turcomans[1] s’avança vers la rive droite du fleuve. Les Bulgares furent vaincus, mais un des généraux russes examinant la chaussure des prisonniers, et voyant qu’ils portaient des bottes, dit à Vladimir : « Ces gens-la sont trop aisés, jamais ils ne voudront être nos tributaires ; allons plutôt chercher des peuples qui portent des lapti (chaussure faite avec l’écorce de tilleul, et que portent les paysans russes}. Vladimir goûta cette observation ; ayant accepté de riches présents, il fit la paix avec les Bulgares, qui prêtèrent un serment remarquable par sa simplicité. « Nous jurons, dirent-ils, de garder notre parole jusqu’à ce que la pierre surnage et que houblon descende au fond de la mer. » Vladimir avait éloigné Rognéda, sa première épouse. Cette princesse, dans les transports de sa fureur jalouse, tenta, disent les annales du temps, d’ôter la vie à son époux, qui, l’ayant prévenue, lui ordonna de se placer sur un à somptueux, avec ses habits de noces, et d’y attendre la mort. Son fils Isiaslaw l’arrêta, comme il s’avançait pour frapper la mère du jeune prince. Touché par ce dévouement, Vladimir donna, dans le gouvernement de Vitepsk, un domaine à Rognéda et à son fils, qui y bâtirent la ville d’Isiaslaw. Nous sommes enfin arrivé à l’époque qui a le plus contribué à l’illustration de Vladimir. Soit par persuasion, soit par politique, il avait pris résolution d’embrasser le christianisme. Les ambassadeurs qu’il envoya à Constantinople à ce sujet lui vantèrent la magnificence des temples, le recueillement du clergé, la richesse des vêtements sacerdotaux, le chant des chœurs, le silence du peuple, enfin la majesté sainte et mystérieuse des cérémonies : tous ces récits achevèrent de le convaincre ; et quoique les peuples voisins, les Hongrois, les Suédois, les Norvégiens et les Slavo-Polonais, Moraviens et Bohémiens, eussent, à cette époque, embrassé le rite latin, il résolut de s’attacher à la communion grecque. Mais, mèlant ses projets d’ambition terrestre à cette grande affaire, il forma le dessein de conquérir, pour ainsi dire, la religion de Jésus-Christ, et de ne recevoir ses dogmes sacrés que comme prix de la victoire. Ayant rassemblé, en 988, une armée nombreuse, il arriva, par mer, sous les murs de Cherson, ville grecque, dont on voit encore les ruines près de Sébastopol en Tauride[2]. Cette ville était la capitale d’une petite république qui, sous la protection des empereurs grecs, se régis-

  1. C’est la première fois que les Annales russes font mention des Turcs ou Turcomans.
  2. Il ne faut pas confondre cette ancienne ville avec Cherson ou Kherson, ville qui n’a été fondée qu’en 1776, sur la rive droite du Dniéper, à vingt-cinq lieues de l’embouchure de ce fleuve dans la mer Noire ; elle donne son nom au gouvernement dont elle est la capitale.