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CAP

cabinets, sans quelques alarmes; aussi de Paris Capodistrias passa-t-il à Londres. Il y arriva sur une fort belle frégate russe, montée par trois cents hommes de la garde. Son voyage cependant passait pour n’être qu’une simple visite au régent. Les explications qu’il donna calmèrent un peu la susceptibilité britannique, sans toutefois l’endormir complètement. Le cabinet de St-James, dirigé par Castlereagh, n’était que trop porté à se faire illusion sur les dangers de la prépondérance russe, à cause des dangers plus grands encore qu’il voyait dans le propagandiste libéral. Bientôt pourtant l’Espagne, Naples et d’autres États cédèrent à ce propagandiste, et firent des révolutions dans un sens contraire à la sainte alliance, tandis qu’Ypsilanti levait l’étendard de l’indépendance en Moldavie, et que la Grèce s’apprêtait également à secouer le joug musulman. Il y à tout lieu de croire que ces deux derniers événements ne furent pas étrangers au cabinet de St-Pétersbourg, et que le comte Capodistrias, qui de Londres revint par Dantzick rejoindre Alexandre à Varsovie, y eut quelque part. Toutefois il dut prêter appui à l’insurrection hellenique plutôt qu’à la tentative des principautés, ainsi que le prouve la froideur avec laquelle la Russie répondit aux ouvertures d’Ypsilanti. Ce chef aventureux tenait encore la campagne lorsque Capodistrias parut au congrès de Laybach. La question d’Iassi n’y occupa pour ainsi dire que la Russie ; et l’on sait quelle réponse fut faite par Alexandre aux demandes d’Ypsilanti. Le confident du czar ne prit pas une part moins importante et moins impérieuse aux événements de l’Italie, et il redigea un mémoire sur les modifications du gouvernement représentatif qui rendaient cette forme convenable aux États de la Péninsule. L’année suivante (1822), des bruits de guerre entre la Russie et la Sublime Porte coururent ; et, lors du retour de Tatichev, le baron de Strogonow et Capodistrias furent spécialement consultes. Tous deux étaient supposés favorables aux Grecs ([1]). Mais le résultat des conférences fut que les Grecs n’eurent à espérer de l’autocrate russe d’autres secours, ostensibles du moins, que des souscriptions. Capodistrias y contribua pour de fortes sommes. Il ne parut point au congrès de Vérone, et dirigea le département des affaires étrangères pendant l’absence du comte de Nesselrode. Il continua ensuite à siéger au conseil d’État, toujours investi de la confiance de son maître et consulté sur tous les objets de quelque importance. Il usa alors de beaucoup de rigueur contre les jésuites. Malgré le peu de sympathie que lui inspiraient les doctrines de liberté, il ne cessa pas de protéger la cause des Grecs, et il parut se souvenir que lui-même était Ionien. D’ailleurs, comme membre du cabinet russe, il ne pouvait que voir avec plaisir tout ce qui tendait à circonscrire la puissance ottomane. Il souffrait donc qu’on le comptât au nombre des principaux philhellenes, et il était en correspondance avec M. Eynard. Devenu empereur par la mort de son frère, Nicolas ne témoigne pas moins d’estime à Capodistrias que son prédécesseur. À cette époque, le diplomate ionien, qu’Alexandre avait fait comte et qu’il avait décoré lui-même, en 1817, de la croix de son ordre en brillants, était de plus grand-croix de St-Vladimir, chevalier de Ste-Anne, et enfin grand-croix de St-Léopold d’Autriche, et de l’Aigle rouge de Prusse. Les républiques même avaient cru devoir lui faire leur offrande; et le 27 mai 1816 le grand conseil de Lausanne l’avait déclaré citoyen du canton de Vaud. Un champ plus vaste, mais plus difficile, allait s’ouvrir devant lui. Enfin trois puissances européennes, la Russie, la France et l’Angleterre se réunirent pour la cause des Grecs ; et l’on ne peut douter que les efforts de Capodistrias n’aient été pour beaucoup dans cette détermination. Mais, en déférant ainsi au vœu de l’Europe, et jusqu’à un certain point à celui de la nation russe, qui voit dans les Grecs ses coreligionnaires, l’intention des trois cabinets n’était ni de faire de la philanthropie sans utilité pour la Russie, ni de donner des encouragements aux révolutions. Il fut même insinué de leur part aux hommes influents de la Grèce que l’Europe enfin pourrait intervenir en leur faveur, s’ils donnaient des garanties en adoptant un gouvernement stable. Jamais peut-être la Grèce n’avait été si loin de cet accord, de cet ordre que lui demandaient les puissances. Deux partis, deux congrès (l’un dans Egine, l’autre à Castri), se disputaient le pouvoir. L’activité de deux philhellènes anglais, Cochrane et Church, nouvellement arrivés en Grèce, assoupit ces divisions; et un congrès définitif, où les députés des deux partis furent réunis, ouvrit ses séances dans Trezène. Une des premières opérations de cette assemblée fut l’élection d’un président qui dut avoir la puissance exécutive. Il avait été posé en principe que, puisque des rivalités funestes armaient les familles les unes contre les autres, le président serait élu parmi des étrangers. Cependant il était bien naturel que le choix tombât sur un homme qui connût la langue et les usages du pays. Tous ces motifs, et plus que cela sans doute l’appui de la Russie, concoururent à faire tomber le choix sur Capodistrias (14 avril). On invita aussitôt le noble comte à se rendre au poste d’honneur qui lui était confié; et en attendant on installa un gouvernement provisoire composé de George Mavromikhali, J. Marki, Milaïki et Janet Maxo. En même temps lord Cochrane fut nommé grand amiral, et Church généralissime des forces de terre. Bientôt les puissances protectrices signèrent le célèbre traité du 6 juillet 1827, que suivit la bataille de Navarin ; et l’on apprit que le nouveau président, après avoir obtenu l’assentiment de l’empereur Nicolas, assentiment non douteux comme on peut le supposer, avait accepté le poste éminent que lui décernaient les Grecs. Cependant il ne mit pas à s’y rendre beaucoup de célérité. De St-Pétersbourg il s’était rendu à Vienne, à Berlin, à Paris, s’occupant sans doute de gagner la bienveillance des souverains, et surtout de les rassu-

  1. Cette même année parurent, à Paris, des Remarques historiques et politiques sur les Grecs (in-8°), que l’on attribue au comte de Capadistria. L’auteur du Dictionnaire des synonimes ne balance pas à les mettre sous son nom. V—VE.