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CIC

montra pas moins hardi à maintenir les vrais principes du gouvernement ; et dès les premiers jours de son consulat, il attaqua le tribun Rullus qui, par le projet d’une nouvelle loi agraire, confiait à des commissaires un pouvoir alarmant pour la liberté. La politique de Cicéron fut ici tout entière dans son éloquence. À force d’adresse et de talent, il fit rejeter par le peuple même une loi toute populaire. Affectant de se regarder comme le consul du peuple, mais fidèle aux intérêts des grands, il fit maintenir le décret de Sylla qui interdisait les charges publiques aux enfants des proscrits. On ne peut douter que cette habileté du consul à ménager les trois ordres de l’État, et à s’en faire également aimer, n’ait été l’arme qui seule put vaincre Catilina. Toute la république étant réunie, et se confiant à un seul homme, les conjurés, malgré leur nombre, se trouvèrent hors de l’État, et furent désignés comme ennemis publics. Le vigilant consul, entretenant des intelligences parmi cette foule d’hommes pervers, était averti de leurs projets, et assistait, pour ainsi dire, à leurs conseils. Le sénat rendit le décret fameux qui, dans les grands dangers investissait les consuls d’un pouvoir égal à celui de dictateur. Cicéron doubla les gardes et prit quelques mesures extérieures. Ensuite il se rendit aux comices pour présider à l’élection des nouveaux consuls. Catilina fut exclu une seconde fois, et n’eut plus d’autre ressource que le meurtre et l’incendie. Il assemble ses complices, les charge d’embraser Rome, et déclare qu’il va se mettre à la tête des troupes de Mallius. Deux chevaliers romains promettent d’assassiner le consul dans sa propre maison. Cicéron est instruit de tous les détails par Fulvie maîtresse de Curius, l’un des conjurés. Deux jours après, il assemble le sénat au Capitole. Ce fut là que Catilina, qui dissimulait encore, ayant osé paraître comme sénateur, le consul l’accabla de sa foudroyante et soudaine éloquence. Catilina, troublé, sortit du Sénat en vomissant des menaces, et dans la nuit partit pour l’Etrurie avec trois cents hommes armes. Le lendemain Cicéron convoque le peuple au Forum, l’instruit de tout, et triomphe d’avoir ôté aux conjurés leur chef, et réduit le chef lui-même à faire une guerre ouverte. Au milieu de cette crise violente, ce grand homme trouvait encore le loisir d’exercer son éloquence dans une cause privée. Il défendit Murèna, consul désigné, que Caton accusait de brigue et de corruption. Son plaidoyer est un chef-d’œuvre d’éloquence et de fine plaisanterie. Le stoïque Caton, ingénieusement raillé par l’orateur, dit ce mot connu : « Nous avons un consul fort gai. » Mais ce consul si gai veillait toujours sur la patrie menacée, et suivait tous les mouvements des conjurés. Instruit que Lentulus, chef des factieux restés à Rome, cherchait à séduire les députés des Allobroges, il engagea ceux-ci à feindre, pour obtenir la preuve complète du crime. Les députés furent saisis au nuement où ils sortaient de Rome avec Vulturcius, l’un des conjurés. On produisit dans le sénat les lettres de Lentulus ; la conjuration fut évidente. Il ne s’agitait plus que de la punition. Plusieurs lois défendaient de punir de mort un citoyen romain : César les fit valoir avec adresse. Caton demanda hautement le supplice des coupables. C’était l’avis que Cicéron avait exprimé avec plus d’art. Ils furent exécutés dans la prison, quoique le consul prévît qu’un jour ils auraient des vengeurs. Il préféra l’État à sa sûreté. Peut-être aurait-il pu se mettre à l’abri en faisant prononcer la sentence par le peuple : c’est ainsi qu’autrefois Manlius avait été condamné. Mais Cicéron craignit qu’on n’enlevât les conjurés. Il voulut se presser, et par timidité, il fit une imprudence que, dans la suite, il expia cruellement. Cependant Rome fut sauvée ; tous les Romains proclamèrent Cicéron le père de le patrie. La défaite de Catilina, qui suivit bientôt, fit assez voir qu’en préservant la ville, on avait porté le coup mortel à la conjuration ; et cette gloire appartenait au vigilant consul. Déjà l’envie l’en punissait. Un tribun séditieux ne lui permit pas de rendre compte de son administration ; et Cicéron, en quittant le consulat, ne put prononcer que ce noble serment, répété par tout le peuple romain : « Je jure que j’ai sauvé la république. » César lui était toujours contraire, et Pompée, uni d’intérêts avec César et Crassus, redoutait un citoyen zélé, trop ami de la liberté pour être favorable aux triumvirs. Cicéron vit son crédit tomber insensiblement, et sa sûreté même menacée pour l’avenir. Il s’occupa plus que jamais de la culture des lettres. Ce fut alors qu’il publia les mémoires de son consulat, écrits en grec, et qu’il fit sur le même sujet un poème latin eu trois livres. Ces louanges qu’il se donnait à lui-même ne durent pas diminuer l’envie qu’excitait sa gloire. Enfin l’orage éclata par la furieuse animosité de Clodius ; et ce consulat tant célébré par Cicéron devint le moyen et le prétexte de sa ruine. Clodius fit passer une loi qui déclarait coupable de trahison quiconque aurait fait périr des citoyens romains, avant que le peuple les eût condamnés. L’illustre consulaire prit le deuil, et, suivi du corps entier des chevaliers et d’une foule de jeunes patriciens, il parut dans les rues de Rome, implorant le secours du peuple. Clodius, à la tête de satellites armés, l’insulta plusieurs fois, et osa même investir le sénat. Cette querelle ne pouvait finir que par un combat, ou par l’éloignement volontaire de Cicéron. Les deux consuls servaient la fureur de Clodius, et Pompée abandonnait son ancien ami. Mais tous les honnêtes gens étaient prêts à défendre le sauveur de la patrie ; Cicéron, par faiblesse ou par vertu, refusa leur secours, et s’exilant lui-même, il sortit de Rome, après avoir consacré au Capitole une petite statue de Minerve, avec cette inscription Minerve, protectrice de Rome. Il erra quelque temps dans l’Italie, et se vit fermer l’entrée de la Sicile par un ancien ami, gouverneur de cette province. Enfin il se réfugia chez Plancus à Thessalonique. Sa douleur était excessive, et la philosophie qui, dans ses malheurs, servit souvent à occuper son esprit, n’avait alors le pouvoir ni de le consoler ni de le distraire. Clodius poursuivait insolemment son triomphe, et par de nouveaux décrets, il fit raser les maisons de