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autres, soit que les différents personnages exposent tour à tour leur opinion. Le fond des choses est emprunté aux Grecs, et quelques passages sont littéralement traduits d’Aristote et de Platon. Ces ouvrages n’ont pas tous à nos yeux le même degré d’intérêt. Le traité de la nature des Dieux n’est qu’un recueil des erreurs de l’esprit humain, qui s’égare toujours plus ridiculement dans les plus sublimes questions ; mais l’absurdité des différents systèmes n’empêche pas d’admirer l’élégance et la clarté des analyses ; et les morceaux de description restent d’une vérité et d’une beauté éternelle. Les Tusculanes se ressentent des subtilités de l’école d’Athènes ; on y trouve, du reste, la connaissance la plus approfondie de la philosophie des Grecs. Le traité de Finibus bonorum et malorum appartient encore à cette philosophie dogmatique un peu trop sèche et trop savante. Heureusement, l’aridité de la discussion ne peut vaincre ni lasser l’inépuisable élégance de l’écrivain. Toujours harmonieux et facile, il éprouve souvent le besoin de se ranimer par des morceaux d’une éloquence élevée. Plusieurs passages du traité des Maux et des Biens peuvent avoir servi de modèle à Rousseau, pour cette manière brillante et passionnée d’exposer la morale, et pour cet art heureux de sortir tout à coup du ton didactique par des mouvements qui deviennent eux-mêmes des preuves. Enfin, le seul mérite qu’on désirerait au style philosophique de Cicéron est celui qui n’a pu appartenir qu’à la philosophie moderne, l’exactitude des termes inséparablement liée au progrès de la science, et à cette justesse d’idées si difficile et si tardive. Les écrits de Cicéron sur la morale pratique ont conservé tout leur prix, malgré les censures de Montaigne, auteur trop irrégulier pour goûter une méthode sage et noble, mais un peu lente. Le livre des Devoirs demeure le plus beau traité de vertu inspiré par la sagesse parement humaine. Enfin, personne n’a fait mieux sentir que Cicéron les plaisirs de l’amitié et les consolations de la vieillesse. Le traité de la République n’était connu jusqu’à ces derniers temps que par quelques fragments assez courts, et par le Songe de Scipion, brillant épisode de cet ouvrage. Un érudit moderne, M. Mai, a trouvé sur un manuscrit palimpseste conservé dans la bibliothèque du Vatican des livres presque entiers et des parties considérables du dialogue original perdu depuis tant de siècles. Cette découverte, la plus étendue et la plus intéressante que l’on ait faite depuis plusieurs siècles, porte tous les caractères du génie de Cicéron comme nous l’avons indiqué dans le discours qui précède la traduction que nous en avons publiée. Le traité de la Divination et le traité des Lois sont de curieux monuments d’antiquité, qu’un style ingénieux et piquant rend d’agréables ouvrages de littérature. Le goût des études philosophiques suivit Cicéron dans la composition de ses traités oratoires, surtout du plus important, celui de Oratore. Après les harangues de Cicéron, c’est l’ouvrage qui nous donne l’idée, la plus imposante du talent de l’orateur dans les républiques anciennes. Ce talent devait tout embrasser,

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depuis la connaissance de l’homme jusqu’aux détails de la diction figurée et du rhythme oratoire ; l’art d’écrire était, pour ainsi dire, plus compliqué que de nos jours. Mais en lisant l’Orateur, les Illustres Orateurs, les Topiques, les Partitions, ou ne doit pas s’attendre à trouver beaucoup d’idées applicables à notre littérature, excepté quelques préceptes généraux, qui nulle part n’ont été mieux exprimés et qui sont également de tous les siècles. A tant d’ouvrages que Cicéron composa pour sa gloire, il faut joindre celui de tous qui peut-être intéresse le plus la postérité, quoiqu’il n’ait pas été fait pour elle, le recueil des Lettres familières, et les Lettres à Atticus. Cette collection ne forme qu’une partie des lettres que Cicéron avait écrites seulement depuis l’âge de quarante ans. Aucun ouvrage ne donne une idée plus juste et plus vive de la situation de la république. Ce ne sont pas, quoi qu’en ait dit Montaigne, des lettres comme celles de Pline, écrites pour le public. Il y respire une inimitable naïveté de sentiments et de style. Si l’on songe que l’époque où vivait Cicéron est la plus intéressante de l’histoire romaine, par le nombre et l’opposition des grands caractères, les changements des mœurs, la vivacité des crises politiques, et le concours de cette foule de causes qui préparent, amènent et détruisent une révolution ; si l’on songe en même temps quelle facilité Cicéron avait de tout connaître, et quel talent pour tout peindre, on doit sentir aisément qu’il ne peut exister de tableau plus instructif et plus animé. Continuel acteur de cette scène, ses passions, toujours intéressées à ce qu’il raconte, augmentent encore son éloquence ; mais cette éloquence est rapide, simple, négligée ; elle peint d’un trait ; elle jette, sans s’arrêter, des réflexions profondes ; souvent les idées sont à peine développées. C’est un nouveau langage que parle l’orateur romain.

Il faut un effort pour le suivre, pour saisir toutes ses allusions, entendre ses prédictions, pénétrer sa pensée, et quelquefois même l’achever. Ce que l’on voit surtout, c’est l’âme de Cicéron, ses joies, ses craintes, ses vertus, ses faiblesses. On remarquera que ses sentiments étaient presque tous extrêmes, ce qui appartient en général au talent supérieur, mais ce qui est une source de fautes et de malheurs. Sous un autre rapport, on peut puiser dans ce recueil une foule de détails curieux sur la vie intérieure des Romains, les mœurs et les habitudes des citoyens, et les formes de l’administration. C’est uns mine inépuisable pour les érudits. Le reste des lecteurs y retrouve cette admirable justesse de pensées, cette perfection de style, enfin, cette continuelle union du génie et du goût qui n’appartient qu’a peu de siècles et à peu d’écrivains, et que personne n’a portée plus loin que Cicéron. V-S.

― On divise en quatre classes les ouvrages qui nous restent de Cicéron : 1o  ouvrages de rhétorique ; 2o  discours ; 3o  lettres ; 4o  ouvrages philosophiques.

Les ouvrages de rhétorique sont :

1e de Inventione libri duo. Cicéron avait composé 4 livres sur cette matière. Les deux qui sont venus jusqu’à nous sont aussi appelés Rhetorica vetus, parce que l’auteur les