Page:Michaud - Poujoulat - Correspondance d’Orient, 1830-1831, tome 2.djvu/72

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ple esclave ; le régisseur Mehemet était surtout l’objet de leurs plaintes. « C’est un chien, disaient-ils, il s’enrichit par notre travail ; il ne nous paie pas et nous laisse manquer de tout. Aussi, la première fois qu’il passera un navire grec sur l’Hellespont, nous trouverons bien les moyens de nous embarquer pour aller en Morée. »

Ainsi, la Morée est la grande préoccupation de tous les Grecs, dans quelque condition qu’ils se trouvent, et quel que soit le lieu qu’ils habitent. S’ils souffrent quelque injustice, ou si le joug leur paraît trop dur, c’est vers la Morée que se portent toutes leurs espérances ; lors même qu’ils ne manquent de rien et que leur sort n’est pas à plaindre, le souvenir de la Grèce vient encore s’offrir à leur pensée ; je ne crois pas que Méhémet, le régisseur du tchiflik, soit un maître dur et méchant, mais tout est tyrannie pour des gens qui rêvent une liberté chimérique. Depuis que les pauvres Grecs de ce pays ont jeté leurs regard sur la Morée affranchie, l’eau du Praxius leur parait amère, le beau ciel de l’Anatolie leur parait triste et sombre ; cette contrée où ils ont passé leur vie est pour eux comme un lieu d’exil ; une espérance aussi incertaine est un véritable malheur pour eux, car elle tend à détruire l’esprit de résignation qui leur est si nécessaire : plus d’une fois même cette perspective trompeuse, qu’ils ont toujours devant les yeux, les a précipités dans des tentatives imprudentes qui n’ont fait