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CORRESPONDANCE


XX

À ser Giovan Francesco Fattucci, à Rome.
Florence, janvier 1524.0000

0000Messer Giovan Francesco,

Vous me demandez dans une de vos lettres où en sont mes affaires avec le pape Jules. Je vous répondrai que, si je pouvais demander des dommages et intérêts, j’aimerais mieux avoir à retenir qu’avoir à donner. Quand il (Jules II) m’envoya chercher à Florence, — c’était, je crois, la seconde année de son pontificat, — je m’étais employé à faire la moitié de la salle du Conseil de Florence, je veux dire à la peindre, pour le prix de 3.000 ducats. Le carton en était déjà fait [1], — comme tout Florence le sait, — et il me semblait avoir ainsi gagné mon salaire. Des douze apôtres que j’avais encore à faire pour Sainte-Marie des Fleurs, un seul était ébauché, comme on le voit encore ; et déjà j’avais amené (de Carrare) la plus grande partie des marbres (pour le tombeau du pape). Quand le pape Jules m’eut enlevé à ce travail, je n’eus plus rien ni de ce projet ni de l’autre. Dans la suite, étant à Rome avec le même pape Jules qui m’avait commandé son tombeau où devaient entrer mille ducats de marbre, il me les fit payer en m’envoyant à Carrare pour en extraire d’autres. Je restai là, huit mois, à faire des ébauches, et j’amenai la plus grande partie des marbres sur la place de Saint-Pierre. L’autre partie resta à Ripa [2]. Quand j’eus fini de payer les bateliers porteurs des marbres, de l’argent reçu pour cet ouvrage. Je fournis, de ma poche, la maison que j’avais sur la place de Saint-Pierre, je l’approvisionnai de lits et autres ustensiles et, confiant dans l’espoir de ce tombeau, je fis venir des marbriers de Florence pour travailler avec moi (il en est qui vivent encore), et je leur fis leurs payes avec mon argent. — En ce temps-là, le pape Jules changea d’avis et ne voulut plus de son tombeau. Ignorant sa pensée, comme j’étais allé lui demander des fonds, je fus chassé de l’appartement. Pour cette insulte je quittai Rome sur-le-champ. Mal en prit au bien que j’avais chez moi, et les marbres que j’avais amenés restèrent sur la place de Saint-Pierre jusqu’à la création du pape (Léon X), en sorte que, d’une part comme de l’autre, la chose alla très mal. Entre autres preuves que je peux avancer, Agostino Ghigi fit enlever de Ripa deux blocs de quatre brasses et demie chacun, qui m’avaient coûté plus de cinquante ducats d’or ; et cette substitution pourrait m’être remboursée, puisqu’il y a des témoins. Mais pour en revenir aux marbres, il se passa plus d’un an entre le temps où j’allai les chercher à Carrare et celui où je fus chassé du palais ; de ce temps-là je n’eus jamais nul dédommagement, et il m’en coûta maintes dizaines de ducats.

De plus, la première fois que le pape Jules alla à Bologne, je fus forcé de

  1. Le carton dit de la Guerre de Pise, ou mieux de la Bataille de Cascine.
  2. Quai du Tibre, à Rome, appelé aussi la Marmorata, depuis qu’on y déchargeait les marbres d’art et de construction.