Page:Michel-Ange - L’Œuvre littéraire, trad. d’Agen, 1911.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
MICHEL-ANGE.

laisse séduire par tes douces promesses, par tes plaisirs trop vains, prépare à son âme de douloureux tourments. Il suffit d’y bien réfléchir pour se convaincre que tu nous flattes le plus souvent d’un repos, d’un bonheur que tu ne possèdes point. Hélas ! c’est pour m’être abandonné trop longtemps à tes illusions mensongères que j’ai souffert tant de maux et versé tant de pleurs.


MADRIGAL XXV
Condotto da molti anni…

Conduit, par de longues années, au terme de ma carrière, trop tard je reconnais, ô monde, ce que sont tes plaisirs : tu nous offres un repos qui n’est point ton partage, un bonheur qui meurt, en naissant. Toutefois, ni la douleur ni la honte du triste emploi de mes jours, hélas ! si fugitifs, ne peuvent changer désormais ni mes désirs ni mes pensées ; car celui qui vieillit dans une tendre erreur, pendant qu’il croit y trouver un aliment à la vie, ne fait que donner la mort à son âme, sans avantage pour son corps. Ah ! je le vois enfin par ma propre et cruelle expérience : l’être le plus heureux est celui dont la mort suit de plus près la naissance.


MADRIGAL XXVI
Ora su’l destro or su…

Je vais, d’un pas incertain, à la recherche du salut. Mon cœur, flottant sans cesse entre le vice et la vertu, souffre et se sent défaillir, comme un voyageur fatigué qui s’égare dans les ténèbres.

Ah ! devenez mon conseil : vos avis me seront sacrés ; éclairez mes doutes ; guidez ma raison offusquée ; préservez mon âme abattue des nouveaux égarements où pourraient la plonger mes passions. Oui, dictez-moi vous-même ma conduite, vous qui sûtes, par de si doux chemins, me diriger vers le ciel.


MADRIGAL XXVII
Non sempre al mondo…

Rien de ce que le monde renferme de plus cher et de plus précieux ne l’est réellement assez aux yeux de tous les hommes, pour que, là même où le plus grand nombre trouve la douceur, quelques-uns ne trouvent pas de l’amertume. Mais combien de fois, par condescendance, ne nous faut-il pas imiter le vulgaire insensé, contraindre notre joie pour partager sa tristesse, renfermer nos douleurs pour sourire à ses vains plaisirs ! Moi, j’ai dans mes chagrins, du moins, ce contentement, que personne ne lit sur mon visage ni mes ennuis ni mes désirs. Je ne crains pas plus l’envie que je ne cherche les louanges du monde, de ce monde injuste et trompeur qui ne protège que ceux qui le payent de plus d’ingratitude, et je marche dans des routes solitaires et peu frayées.


MADRIGAL XXVIII
Nel mio ardente desio…

Sensible en apparence à mes maux, mais froide et cruelle dans l’âme, elle se joue de ma brûlante ardeur. Amour, ne te l’avais-je pas dit, que mon espérance était vaine, que l’on perdait son propre appui en comptant sur celui des autres ? Eh bien ! si maintenant elle veut que je meure, mon tort, mon malheur le plus grand n’est-il pas d’avoir cru à ses promesses trompeuses ? Mais plus celui qu’on abuse est crédule, plus on est ingrat et coupable.