Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/169

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Tant de choses se sont entassées saignant les unes sur les autres, tant de poussière humaine fut semée dans le vent, qu’à travers les froides résolutions d’aujourd’hui, nous ne retrouverions pas tels qu’ils étaient les accents généreux d’alors.

Ô cette générosité, cette pure épopée d’hommes d’une merveilleuse bonté.

Et moi, qu’on accuse de cette bonté sans limites, j’aurais sans pâlir, comme on ôte une pierre des rails, pris la vie de ce nain qui devait faire tant de victimes ! Des îlots de sang n’eussent pas coulé, les tas de morts n’eussent point empli Paris aussi haut que des montagnes et changé la ville en charnier.

Pressentant l’œuvre de ce bourgeois au cœur de tigre, je pensais qu’en allant tuer M. Thiers, à l’Assemblée, la terreur qui en résulterait arrêterait la réaction.

Combien je me suis reproché aux jours de la défaite d’avoir demandé conseil, nos deux vies eussent évité l’égorgement de Paris.

Je confiai mon projet à Ferré qui me rappela combien la mort de Lecomte et Clément Thomas avait en province et même à Paris servi de prétexte d’épouvante, presque même à un désaveu de la foule ; peut-être, dit-il, celle-là arrêterait le mouvement.

Je ne le croyais pas et peu m’importait le désaveu si c’était utile à la Révolution, mais cependant il pouvait avoir raison.

Rigaud fut de son avis. — D’ailleurs, ajoutèrent-ils, vous ne parviendriez pas à Versailles.

J’eus la faiblesse de croire qu’ils pouvaient être dans le vrai quant à ce monstre. Mais à propos du voyage de Versailles avec un peu de résolution, j’étais sûre d’y parvenir, et j’ai voulu en faire l’épreuve.

Quelques jours après, si bien vêtue que je ne me reconnaissais pas moi-même, je m’en allai fort tranquillement à Versailles, où j’arrivai sans encombre.