Page:Michel - La Commune, 1898.djvu/308

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à notre gauche, derrière c’était le mur en face le tertre des casemates, où le poteau était éclairé, c’était une longue perche mince en bois blanc.

Dans la journée ces deux curieux, qui croyaient si bien sortir, avaient trouvé moyen de se rendre compte de la cour. — Le tertre, nous disaient-ils, ce sont les casemates. Quand nous sortirons, nous demanderons à voir le bastion.

— Est-ce que vous avez vu des forts, vous ? disaient-ils.

— Oui, Issy, Montrouge, Vanves.

Et il fallait leur expliquer un tas de choses.

Gallifet avait disparu, on nous fit ranger en file, des cavaliers prirent les deux côtés et on nous emmena nous ne savions pas où ; on marchait bercés par le pas régulier des chevaux s’en allant dans la nuit éclairée par places des lueurs rouges de temps à autre, aussi le canon des écroulements, de mitraille, c’était bien l’inconnu, une brume de rêve où nul détail n’échappait.

Tout à coup on nous fait descendre dans des ravins ; nous reconnaissons les environs de la Muette.

C’est ici, pensions-nous, que nous allons mourir.

Rien de plus terriblement beau que cette scène.

La nuit, sans être obscure, n’était pas assez claire pour laisser distinguer les choses telles qu’elles sont, les formes vagues qu’elles prenaient allaient bien à la situation. Des rayons de lune glissaient entre les pieds des chevaux, sur cet étroit chemin où nous descendions. L’ombre des cavaliers s’y dessinait comme une frange noire à la lueur des torches, il semblait voir saigner les bandes rouges, sur les uniformes des fédérés à demi arrachés, les soldats en paraissaient couverts.

La longue file des prisonniers serpentait au loin, s’amincissant à la queue comme on voit dans les gravures, je n’aurais jamais cru que ce fût si semblable.

Nous entendions armer les fusils, puis plus rien, que le silence et l’ombre.