Page:Michel Corday - La Houille Rouge, 1923.djvu/147

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Dehors, essayer de se fuir, traîner le boulet de son angoisse dans l’âpre crépuscule, par les rues vivantes de la ville, toutes bleues de soldats qui s’arrêtent et s’émerveillent, les pauvres petits, devant les magasins de glorieuses couronnes funéraires.

Rentrer à l’hôtel, s’étonner et presque rougir de pouvoir manger, de pouvoir accomplir les gestes accoutumés. Parcourir des yeux une page de livre, un article de journal, et n’en rien retenir. Appeler, pendant des heures, l’oubli du sommeil. Penser sans cesse que là, tout près, une part de soi-même lutte contre la mort. Sentir que cette vie vous est bien plus précieuse que votre propre vie. Et ne pouvoir rien, qu’attendre.

Oh ! l’insomnie, dans cet hôtel… Il abrite d’autres parents en alerte, qui ont un fils blessé, ou malade. Et aussi des couples d’amoureux, de ces militaires qui joignent enfin leur amie. Parfois, quand la grande porte est close, le timbre d’entrée résonne par toute la maison, dans le calme nocturne : l’hôpital fait avertir d’urgence une famille. Une agonie… On sursaute, comme le condamné dont l’exécution approche : « Est-ce pour moi ? Est-ce mon tour ? » Et tandis qu’on épie, le cœur battant à gros coups sourds jusque