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LES « HAUTS FOURNEAUX »

Andernos, 15 novembre 1914.

J’ai lu que le brouillard règne sur le front. Peut-être se tuera-t-on moins, puisqu’on se verra moins. Et c’est une grande pitié de penser que je ne pourrais même pas exprimer ce simple espoir devant mes « semblables », tant ils sont devenus cruels. On n’a pas le droit de rêver que la nature impose une accalmie à ce mascaret humain où deux flots s’affrontent en une interminable bataille, l’un rué vers la mer, l’autre le refoulant, de la Marne à l’Yser.

Non, non, pas d’accalmie. On ne peut pas dire tout haut ce qu’on colporte tout bas. On ne peut pas dire que des femmes espagnoles demandent aux combattants de faire trêve pendant la nuit de Noël. On ne peut pas dire que des soldats ont cessé de tirer, d’un tacite accord, afin d’aller prendre, par le grand froid, de la paille d’une meule dressée entre les deux tranchées. On ne peut pas dire que, pendant la bataille de Charleroi, deux troupes adverses se croisèrent au soir dans une rue de village, si lasses, si lasses, qu’elles feignirent de ne pas se voir et qu’elles