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CARLOVINGIENS.

jours combattre, toujours lutter contre de nouveaux ennemis ? Derrière les Saxons et les Bavarois, Charlemagne avait trouvé les Slaves, puis les Avares ; derrière les Lombards, les Grecs ; derrière l’Aquitaine et l’Èbre, le califat de Cordoue. Cette ceinture de barbares, qu’il crut simple et qu’il rompit d’abord, elle se doubla, se tripla devant lui ; et quand les bras lui tombaient de lassitude, alors apparut, avec les flottes danoises, cette mobile et fantastique image du Nord, qu’on avait trop oubliée. Ceux-ci, les vrais Germains, viennent demander compte aux Germains bâtards, qui se sont faits Romains, et s’appellent l’Empire.

Un jour que Charlemagne était arrêté dans une ville de la Gaule narbonnaise, des barques Scandinaves vinrent pirater jusque dans le port. Les uns croyaient que c’étaient des marchands juifs, africains, d’autres disaient bretons ; mais Charles les reconnut à la légèreté de leurs bâtiments : « Ce ne sont pas là des marchands, dit-il, mais de cruels ennemis. » Poursuivis, ils s’évanouirent. Mais l’empereur s’étant levé de table, se mit, dit le chroniqueur, à la fenêtre qui regardait l’Orient, et demeura très-longtemps le visage inondé de larmes. Comme personne n’osait l’interroger, il dit aux grands qui l’entouraient : « Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure amèrement ? Certes, je ne crains pas qu’ils me nuisent par ces misérables pirateries ; mais je m’afflige profondément de ce que, moi vivant, ils ont été près de toucher ce rivage, et je suis tourmenté d’une violente douleur[1],

  1. Moine de Saint-Gall.