Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/170

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voir de près la paix de ce bassin intérieur, de voir tout autour sous l’eau peu profonde des bancs avancés où s’étalent les coraux en parfaite sécurité, lorsqu’on est soi-même en pleine tempête. » Ce monde aimable est un écueil. Touchez et vous êtes brisé. La mer transparente vous montre un abîme à pic de cent brasses. Ne vous fiez pas aux ancres. Nul câble qui, au frottement, ne soit usé, bientôt coupé. L’anxiété est extrême dans les longues nuits où la houle australe vous pousse sur ces tranchants rasoirs.



Les innocents faiseurs d’écueils ne manquent pourtant pas de réponse aux accusations. Ils disent : « Donnez-nous le temps. Ces bords adoucis peu à peu deviendront hospitaliers. Laissez-nous faire. Les bancs liés aux bancs voisins n’auront plus ces remous terribles. Nous vous faisons un monde de rechange pour le cas où périrait le vôtre. Vous nous bénirez peut-être, s’il vous vient un cataclysme, si, comme l’a dit quelqu’un, la mer verse d’un pôle à l’autre tous les dix mille ans. Vous vous tiendrez fort heureux de trouver là nos îles australes où nous aurons fait un refuge.