Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/268

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au seizième siècle, ont été vus non un moment sur l’eau, mais amenés sur terre, montrés, nourris dans les grands centres, Anvers et Amsterdam, chez Charles-Quint et Philippe II, donc, sous les yeux de Vésale et des premiers savants. On mentionne une femme marine qui vécut longues années en habit de religieuse, dans un couvent où tous pouvaient la voir. Elle ne parlait pas, mais travaillait, filait. Seulement elle ne pouvait se corriger d’aimer l’eau et de faire effort pour y revenir.

On dira : Si ces êtres ont existé réellement, pourquoi furent-ils si rares ? Hélas ! nous n’avons pas à chercher bien loin la réponse. C’est que généralement on les tuait. Il y avait péché à les laisser en vie, « car ils étaient des monstres. » C’est ce que disent expressément les vieux récits.

Tout ce qui n’était pas dans les formes connues de l’animalité, et tout ce qui, au contraire, approchait de celles de l’homme, passait pour monstre, et on le dépêchait. La mère qui avait le malheur de mettre au monde un fils mal conformé ne pouvait le défendre ; on l’étouffait entre des matelas. On supposait qu’il était fils du Diable, une invention de sa malice pour outrager la création, calomnier Dieu. D’autre part, ces Sirénéens, trop analogues à l’homme, passaient d’autant plus pour une illusion diabolique. Le moyen âge en avait tant d’horreur,