Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/117

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peut être rempli par un idiot ? N’est-ce pas un rien, un néant ? »

Cette pièce sortait du cercle de Condorcet, aussi bien que le pamphlet du Jeune mécanicien qui parut presque en même temps. L’un et l’autre exprimaient la pensée commune de cette société de théoriciens hardis. Condorcet, toutefois, n’avait tenu la plume que pour le pamphlet, moins compromettant ; mais l’affiche fut rédigée, en anglais d’abord, par un étranger, Thomas Payne, qui avait moins à craindre la responsabilité d’un acte si grave. Elle fut traduite par les soins d’un de nos jeunes officiers qui avait fait la guerre d’Amérique, qui afficha hardiment aux portes de l’Assemblée et signa : « Du Châtelet. »

Payne avait en ce moment, à Paris, deux choses qui souvent vont ici d’ensemble, l’autorité et la vogue. Il trônait dans les salons. Les hommes les plus éminents, les plus jolies femmes, lui faisaient la cour, recueillaient ses paroles, s’efforçaient de les comprendre. C’était un homme de cinquante à soixante ans ; il avait fait tous les métiers, fabricant, maître d’école, douanier, matelot, journaliste. Il n’avait pas moins de trois patries, l’Angleterre, l’Amérique et la France ; il n’en eut qu’une, à vrai dire, le droit, la justice. Invariable citoyen du droit, dès qu’il sentait l’injustice d’un côté de l’Océan, il passait de l’autre. La France gardera la mémoire de ce fils d’adoption. Il avait écrit pour l’Amérique son livre du Sens commun, le bréviaire des républicains ; et pour la France,