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HISTOIRE DE FRANCE

envie de partir, qui se moquaient de ceux qui se défaisaient de leurs biens, leur prédisant un triste voyage et un plus triste retour. Et le lendemain, les moqueurs eux-mêmes, par un mouvement soudain, donnaient tout leur avoir pour quelque argent et partaient avec ceux dont ils s’étaient d’abord raillés. Qui pourrait dire les enfants, les vieilles femmes qui se préparaient à la guerre ? Qui pourrait compter les vierges, les vieillards tremblants sous le poids de l’âge ?… Vous auriez ri de voir les pauvres ferrer leurs bœufs comme des chevaux, traînant dans des chariots leurs minces provisions et leurs petits enfants ; et ces petits, à chaque ville ou château qu’ils apercevaient, demandaient dans leur simplicité : N’est-ce pas là cette Jérusalem où nous allons[1] ? »

Le peuple partit sans rien attendre, laissant les princes délibérer, s’armer, se compter ; hommes de peu de foi ! Les petits ne s’inquiétaient de rien de tout cela : ils étaient sûrs d’un miracle. Dieu en refuserait-il un à la délivrance du Saint-Sépulcre ? Pierre-l’Ermite marchait à la tête, pieds nus, ceint d’une corde. D’autres suivirent un brave et pauvre chevalier, qu’ils appelaient Gautier-sans-avoir. Dans tant de milliers d’hommes, ils n’avaient pas huit chevaux. Quelques Allemands imitèrent les Français et partirent sous la conduite d’un des leurs, nommé Gotteschalk. Tous ensemble descendirent la vallée du Danube, la route d’Attila, la grande route du genre humain[2].

  1. Guibert de Nogent.
  2. App. 66.