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LA CROISADE

croisés. Il s’informa curieusement de leurs noms, de leur nombre, de leurs armes et de leurs ressources[1] ; puis, sans mot dire, il prit la croix et laissa Amalfi. Il est curieux de voir le portrait qu’en fait Anne Comnène, la fille d’Alexis, qui le vit à Constantinople, et qui en eut si grand’peur. Elle l’a observé avec l’intérêt et la curiosité d’une femme. « Il passait les plus grands d’une coudée ; il était mince du ventre, large des épaules et de la poitrine ; il n’était ni maigre ni gras. Il avait les bras vigoureux, les mains charnues et un peu grandes. A y faire attention, on s’apercevait qu’il était tant soit peu courbé. Il avait la peau très blanche, et ses cheveux tiraient sur le blond ; ils ne passaient pas les oreilles, au lieu de flotter, comme ceux des autres barbares. Je ne puis dire de quelle couleur était sa barbe ; ses joues et son menton étaient rasés ; je crois pourtant qu’elle était rousse. Son œil, d’un bleu tirant sur le vert de mer (γλαυϰὁν), laissait entrevoir sa bravoure et sa violence. Ses larges narines aspiraient l’air librement, au gré du cœur ardent qui battait dans cette vaste poitrine. Il y avait de l’agrément dans cette figure, mais l’agrément était détruit par la terreur. Cette taille, ce regard, il y avait en tout cela quelque chose qui n’était point aimable, et qui même ne semblait pas de l’homme. Son sourire me semblait plutôt comme un frémissement de menace… Il n’était qu’artifice et ruse ; son langage était précis, ses réponses ne donnaient aucune prise[2]. »

Quelque grandes choses que Bohémond ait faites,

  1. App. 68.
  2. Anne Comnène.