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HISTOIRE DE FRANCE

proverbial[1]. La féodalité avait trouvé dans la ville royale son centre politique ; cette ville allait devenir la capitale de la pensée humaine.

Celui qui commença cette révolution n’était pas un prêtre ; c’était un beau jeune homme[2], brillant, aimable, de noble race[3]. Personne ne faisait comme lui des vers d’amour en langue vulgaire ; il les chantait lui-même. Avec cela, une érudition extraordinaire pour le temps : lui seul alors savait le grec et l’hébreu. Peut-être avait-il fréquenté les écoles juives (il y en avait plusieurs dans le Midi) ou les rabbins de Troyes, de Vitry ou d’Orléans. Il y avait alors deux écoles principales à Paris, la vieille école épiscopale du parvis Notre-Dame, et celle de Sainte-Geneviève, sur la montagne, où brillait Guillaume de Champeaux. Abailard vint s’asseoir parmi ses élèves, lui soumit des doutes, l’embarrassa, se joua de lui et le condamna au silence. Il en eût fait autant d’Anselme de Laon, si le professeur, qui était évêque, ne l’eût chassé de son diocèse. Ainsi allait ce chevalier errant de la dialectique, démontant les plus fameux champions. Il dit lui-même qu’il n’avait renoncé à l’autre escrime, à celle des tournois, que par amour pour les combats de la parole[4]. Vainqueur dès lors et sans rival, il enseigna à Paris et à Melun, où résidait Louis-le-Gros, et où les seigneurs

  1. Chaucer dit d’une abbesse anglaise de haut parage : « Elle parlait français parfaitement et gracieusement, comme on l’enseigne à Stratford-Athbow ; car pour le français de Paris, elle n’en savait rien. »
  2. App. 78.
  3. Né en 1079, près de Nantes, il était fils aîné, et renonça à son droit d’aînesse.
  4. On voit par une de ses lettres qu’il avait d’abord étudié les lois.