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LOUIS-LE-JEUNE ET HENRI II (PLANTAGENET)

de sa conquête ; le seul comte de Moreton avait plus de six cents fiefs[1]. Ces barons voulaient bien se dire hommes du roi ; mais réellement il n’était que le premier d’entre eux. Dans les grandes occasions, ils devenaient les juges de ce roi. Cependant ils auraient trop risqué à être indépendants. Peu nombreux au milieu d’un peuple immense, qu’ils foulaient si brutalement, ils avaient besoin d’un centre où recourir en cas de révolte, d’un chef qui pût les rallier, qui représentât la partie normande au milieu de la conquête. Voilà ce qui explique pourquoi l’ordre féodal fut si fort dans le pays même où les vassaux plus puissants devaient être plus tentés de le mépriser.

La position de ce roi de la conquête était extraordinairement critique et violente. Cette société nouvelle, bâtie de meurtres et de vols, elle se maintenait par lui ; en lui elle avait son unité. C’est à lui que remontait ce sourd concert de malédictions, d’imprécations à voix basse. C’est pour lui que le banni saxon, dans la Forêt nouvelle[2], où le poursuivait le shériff, gardait sa meilleure flèche ; les forêts ne valaient rien pour les rois normands. C’est contre lui, tout autant que contre les Saxons, que le baron se faisait bâtir ces gigantesques châteaux, dont l’insolente beauté atteste encore combien peu on y a plaint la sueur de l’homme. Ce roi si

  1. Hallam. — Il est vrai que ces possessions étaient dispersées : 248 manoirs dans le Cornwall, 54 en Sussex, 196 en Yorkhsire, 99 dans le comté de Northampton, etc.
  2. Nove forest. C’était un espace de trente milles que le Conquérant avait fait mettre en bois, en détruisant trente-six paroisses et en chassant les habitants.