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HISTOIRE DE FRANCE

de ces aqueducs, de ces arcs de Saint-Remi et d’Orange, et de tant d’autres monuments. Mais dans l’esprit du peuple, dans sa fidélité aux vieux usages[1], qui lui donnent une physionomie si originale et si antique ; là aussi je trouve une ruine. C’est un peuple qui ne prend pas le temps passé au sérieux, et qui pourtant en conserve la trace[2]. Un pays traversé par tous les peuples, aurait dû, ce semble, oublier davantage ; mais non, il s’est obstiné dans ses souvenirs. Sous plusieurs rapports, il appartient, comme l’Italie, à l’antiquité.

Franchissez les tristes embouchures du Rhône obstruées et marécageuses, comme celles du Nil et du Pô. Remontez à la ville d’Arles. La vieille métropole du christianisme dans nos contrées méridionales, avait cent mille âmes au temps des Romains ; elle en a vingt mille aujourd’hui ; elle n’est riche que de morts et de sépulcres[3]. Elle a été longtemps le tombeau commun, la nécropole des Gaules. C’était un bonheur souhaité de pouvoir reposer dans ses champs Élysiens (les Aliscamps). Jusqu’au douzième siècle, dit-on, les habitants des deux rives mettaient, avec une pièce d’argent, leurs morts dans un tonneau enduit de poix, qu’on abandonnait au fleuve ; ils étaient fidèlement

  1. Dans ses jolies danses moresques, dans les romérages de ses bourgs, dans les usages de la bûche calendaire, des pois chiches à certaines fêtes, dans tant d’autres coutumes. App. 25.
  2. La procession du bon roi René, à Aix, est une parade dérisoire de la fable, de l’histoire et de la Bible. App. 26.
  3. Si come ad Arli, ove’l Rodano stagna,
    Fanno i sepolcri tutto’l loco varo.

    Dante, Inferno, c. ix.