Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/189

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ment mener le monde, et le monde avançait sans lui. Il avait toujours regardé la jeune assemblée comme sa fille, sa pupille ; il répondait au roi qu’elle serait docile et sage ; et voilà que tout à coup, sans consulter son tuteur, elle allait seule, avançait, enjambait les vieilles barrières sans daigner même y regarder… Dans sa stupéfaction immobile, Necker reçut deux conseils, d’un royaliste, d’un républicain, et les deux revenaient au même. Le royaliste était l’intendant Bertrand de Molleville, un intendant d’ancien régime, passionné et borné ; le républicain était Durovray, un de ces démocrates que le roi avait chassés de Genève en 1782.

Il faut savoir ce que c’était que cet étranger, qui, dans une crise si grave, s’intéressait tant à la France et se hasardait à donner conseil. Durovray, établi en Angleterre, pensionné par les Anglais, devenu Anglais de cœur et de maximes, fut un peu plus tard un chef d’émigrés. En attendant, il faisait parti d’un petit comité genevois qui, malheureusement pour nous, circonvenait Mirabeau. L’Angleterre semblait entourer le principal organe de la liberté française[1]. Peu favorable aux Anglais jusque-là, le grand homme s’était laissé prendre à ces ex-républicains, soi-disant

  1. Ces Genevois n’étaient pas précisément des agents de l’Angleterre. Mais les pensions qu’ils en recevaient, le présent de plus d’un million qu’elle leur fit pour fonder une Genève irlandaise (qui resta sur le papier), tout cela leur imposait l’obligation de servir les Anglais. Au reste, ils se divisèrent. Yvernois se fit Anglais et devint notre plus cruel ennemi. Clavière seul devint Français. — Que dire d’Étienne Dumont qui veut que ces gens-là, avec leur plume de plomb, aient écrit tous les discours de Mirabeau ? Ses Souvenirs témoignent d’une grande ingratitude pour l’homme de génie qui l’honora de son amitié.