Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/332

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les nobles, les seigneurs. « N’est-ce que cela ? dit Sieyès, nous serons conquérants à notre tour ! »

Le droit féodal alléguait encore ces actes hypocrites où l’on suppose que l’homme stipula contre lui-même, où le faible, par peur ou par force, se donnait sans réserver rien, donnait l’avenir, le possible, ses enfants à naître, les générations futures. Ces coupables parchemins, la honte de la nature, dormaient impunis depuis des siècles au fond des châteaux.

On parlait fort du grand exemple de Louis XVI, qui avait affranchi les derniers serfs de ses domaines. Imperceptible sacrifice qui coûta peu au Trésor, et qui n’eut en France presque aucun imitateur.

Quoi ! dira-t-on, les seigneurs étaient-ils en 1789 des hommes durs, impitoyables ?

Nullement. C’était une classe d’hommes très mêlée, mais généralement faible et physiquement déchue[1], légère, sensuelle et sensible, si sensibles qu’ils ne pouvaient voir de près les malheureux. Ils les voyaient dans les idylles, les opéras, les contes, les romans qui font verser de douces larmes ; ils pleuraient avec Bernardin de Saint-Pierre, avec Grétry et Sedaine, avec Berquin, Florian ; ils se savaient gré de pleurer et se disaient : « Je suis bon. »

Avec cette faiblesse de cœur, cette facilité de caractère, la main ouverte, incapable de résister aux occasions de dépense, il leur fallait de l’argent, beaucoup

  1. C’est ce qu’avoue M. de Maistre dans ses Considérations sur la Révolution (1796).