Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/212

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une parole arrachée du cœur proteste contre cette impuissance de langage et fait mesurer la profondeur réelle du sentiment… Tout cela verbeux ; eh ! dans ces moments, comment finit-on jamais ?… Comment se satisfaire soi-même ?… Le détail matériel les a fort préoccupés ; nulle écriture assez belle, nul papier assez magnifique, sans parler des somptueux petits rubans tricolores pour relier les cahiers… Quand je les aperçus d’abord, brillants et si peu fanés, je me rappelai ce que dit Rousseau du soin prodigieux qu’il mit à écrire, embellir, parer les manuscrits de sa Julie… Autres ne furent les pensées de nos pères, leurs soins, leurs inquiétudes, lorsque, des objets passagers, imparfaits, l’amour s’éleva en eux à cette beauté éternelle !

Ce qui me toucha, me pénétra d’attendrissement et d’admiration, c’est que, dans une telle variété d’hommes, de caractères, de localités, avec tant d’éléments divers, qui la plupart étaient hier étrangers les uns aux autres, souvent même hostiles, il n’y a rien qui ne respire le pur amour de l’unité.

Où sont donc les vieilles différences de lieux et de races ? Ces oppositions géographiques, si fortes, si tranchées ? Tout a disparu, la géographie est tuée. Plus de montagnes, plus de fleuves, plus d’obstacles entre les hommes… Les voix sont diverses encore, mais elles s’accordent si bien qu’elles ont l’air de partir d’un même lieu, d’une même poitrine… Tout a gravité vers un point, et c’est ce point qui résonne, tout part à la fois du cœur de la France.