Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/219

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jeune enfant. Une telle main porte bonheur. Ceux-ci, que je vois ici, sous l’œil attendri de leurs mères, déjà armés, pleins d’élan, donnez-leur deux ans seulement, qu’ils aient quinze ans, seize ans, ils partent : 1792 a sonné ; ils suivent leurs aînés à Jemmapes… Leur main a porté bonheur ; ils ont rempli ce grand augure, ils ont couronné la France !… Aujourd’hui même, faible et pâle, elle siège sous cette couronne éternelle et impose aux nations.

Grande génération, heureuse, qui naquit dans une telle chose, dont le premier regard tomba sur cette vue sublime ! Enfants apportés, bénis à l’autel de la patrie, voués par leurs mères en pleurs, mais résignées, héroïques, donnés par elles à la France… ah ! quand on naît ainsi, on ne peut plus jamais mourir… Vous reçûtes, ce jour-là, le breuvage d’immortalité. Ceux même d’entre vous que l’histoire n’a pas nommés, ils n’en remplissent pas moins le monde de leur vivant esprit sans nom, de la grande pensée commune portée par toute la terre…

Je ne crois pas qu’à aucune époque le cœur de l’homme ait été plus large, plus vaste, que les distinctions de classes, de fortunes et de partis aient été plus oubliées. Dans les villages surtout, il n’y a plus ni riche, ni pauvre, ni noble, ni roturier ; les vivres sont en commun, les tables communes. Les divisions sociales, les discordes, ont disparu. Les ennemis se réconcilient, les sectes opposées fraternisent, les croyants, les philosophes, les protestants, les catholiques.