Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/330

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Murmures, interruptions, rien n’y fit. À grand’peine il dit quelques mots, insignifiants, inutiles, et encore, en faisant appel aux tribunes, réclamant La liberté d’opinion, criant qu’on étouffait sa voix. Maury fit rire tout le monde en demandant l’impression du discours de M, de Robespierre.

Pour oublier ces mortifications, prodigieusement sensibles à sa vanité, Robespierre n’avait nulle ressource, ni la famille, ni le monde. Il était seul, il était pauvre. Il rapportait ses déboires dans son désert du Marais, dans son triste appartement de la triste rue de Saintonge. Froid logis, pauvre, démeublé. Il vivait petitement et fort serré de son salaire de député ; encore en envoyait-il le quart à Arras pour sa sœur ; un autre quart passait à une maîtresse qui l’aimait fort et qui ne lui servait guère ; il lui fermait souvent sa porte et ne la traitait pas bien[1]. Il était très frugal, dînait à trente sols, et encore il lui restait à peine de quoi se vêtir. L’Assemblée ayant ordonné le deuil pour la mort de Franklin, ce fut un grand embarras. Robespierre emprunta un habit de tricot noir à un homme beaucoup plus grand ; l’habit traînait de quatre pouces. Nihil habet paupertas durius in se quam quod ridiculos homines facit. (Juvénal.)

Il se plongea d’autant plus dans le travail. Mais il n’avait guère que les nuits, passant les journées

  1. Je dois ce détail et plusieurs autres a l’ouvrage de M. Villiers (Souvenirs d’un déporté, 1802), lequel vécut la plus grande partie de l’année 1790 avec Robespierre et souvent lui servit de secrétaire gratuitement. Du reste, j’ai suivi presque toujours les Mémoires de Charlotte de Robespierre, imprimés à la suite des Œuvres de Robespierre, par M. Laponneraye.