Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/355

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Généreux instinct des femmes ! C’est lui aussi qui, à ce moment, donne à Camille Desmoulins sa charmante et désirée Lucile. Il est pauvre, il est en péril, voilà pourquoi elle le veut. Les parents auraient vu volontiers leur fille prendre un nom moins compromis ; mais c’est justement le danger qui tentait Lucile. Elle lisait tous les matins ces feuilles ardentes, pleines de verve et de génie, ces feuilles satiriques, éloquentes, inspirées des hasards du jour et pourtant marquées d’immortalité. La vie, la mort avec Camille, elle embrassa tout, elle arracha le consentement paternel, et, elle-même, riant, pleurant, elle lui apprit son bonheur.

Bien d’autres firent comme Lucile. Plus l’avenir était incertain, plus l’on voyait l’horizon se charger d’orages, plus ceux qui s’aimaient avaient hâte de s’unir, d’associer leur sort, de courir les mêmes chances, de placer, jouer la vie sur une même carte, un même dé !

Moment ému, trouble, mêlé d’ivresse comme les veilles de bataille, d’un spectacle plein d’intérêt, amusant, terrible.

Tout le monde le sentait en Europe. Si beaucoup de Français partaient, beaucoup d’étrangers venaient ; ils s’associaient de cœur à toutes nos agitations, ils venaient épouser la France. Et dussent-ils y mourir, ils l’aimaient mieux que vivre ailleurs ; au moins, s’ils mouraient ici, ils étaient sûrs d’avoir vécu.

Ainsi le spirituel et cynique Allemand Anacharsis Clootz, philosophe nomade (comme son homonyme