Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/364

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« Clootz vient de me transporter par les cheveux, comme l’ange fit au prophète Habacuc, sur les hauteurs de la politique. Je recule les barrières de la Révolution jusqu’aux extrémités du monde[1]… »

Telle est l’originalité des Cordeliers. Voltaire parmi les fanatiques ! Car c’est un vrai fils de Voltaire que cet amusant Desmoulins. On est tout surpris de le voir dans ce pandémonium. Bon sens, raison, vives saillies, dans cette bizarre assemblée, où l’on dirait qu’ensemble siègent nos prophètes des Cévennes, les illuminés du long Parlement, les quakers à tête branlante… Les Cordeliers forment à vrai dire le lien des âges ; leur génie, à la Diderot, tout ensemble sceptique et croyant, rappelle en plein dix-huitième siècle quelque chose du vieux mysticisme, où parfois brillent par éclairs des lueurs de l’avenir.

L’avenir ! mais qu’il est trouble encore ! comme il m’apparaît sombre, mêlé, sublime et fangeux à la fois, dans la face de Danton !

J’ai sous les yeux un portrait de cette personnification terrible, trop cruellement fidèle, de notre Révolution, un portrait qu’esquissa David, puis il le laissa,

  1. Je n’ai pas besoin de dire que j’ai tiré tout ce chapitre des journaux de Marat et de Desmoulins, en rapprochant seulement ce qui est divisé et changeant à peine quelques mots. Desmoulins, après avoir exprimé son enthousiasme, demi-sérieux, demi-comique, pour les idées de Clootz, ajoute, pour mêler l’utile dulci : J’allais poser la plume, la surdité du peuple ingrat m’avait découragé. Je reprends l’espérance, je constitue mon journal en journal permanent… Nous invitons nos chers et aimés souscripteurs dont l’abonnement expire à le renouveler, non rue de Seine, mais chez nous, rue du Théâtre-Français, où nous continuerons de cultiver une branche de commerce inconnue jusqu’à ce jour, une manufacture de révolutions. »