Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/365

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effrayé, découragé, se sentant peu capable encore de peindre un pareil objet. Un élève consciencieux reprit l’œuvre, et simplement, lentement, servilement même, il peignit chaque détail, cheveu par cheveu, poil à poil, creusant une à une les marques de la petite vérole, les crevasses, montagnes et vallées de ce visage bouleversé.

L’effet est le débrouillement pénible, laborieux, d’une création vaste, trouble, impure, violente, comme quand la nature tâtonnait encore, sans pouvoir se dire au juste si elle ferait des hommes ou des monstres ; moins parfaite, mais plus énergique, elle marquait d’une main terrible ses gigantesques essais.

Mais combien les plus discordantes créations de la nature sont pacifiées et d’accord, en comparaison des discordes morales que l’on entrevoit ici !… J’y entends un dialogue sourd, pressé, atroce, comme d’une lutte de soi contre soi, des mots entrecoupés, que sais-je ?

Ce qui épouvante le plus, c’est qu’il n’y a pas d’yeux ; du moins on les voit à peine. Quoi ! ce terrible aveugle sera guide des nations ?… Obscurité, vertige, fatalité, ignorance absolue de l’avenir, voilà ce qu’on lit ici.

Et pourtant ce monstre est sublime. — Cette face presque sans yeux semble un volcan sans cratère, — volcan de fange ou de feu, — qui, dans sa forge fermée, roule les combats de la nature. — Quelle sera l’éruption ?