Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/391

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peut-être il a cru n’avoir qu’à tirer les conséquences.

Marat ou Mara, Sarde d’origine, était des environs de Neufchâtel, comme Rousseau de Genève. Il avait dix ans, en 1754, au moment où son glorieux compatriote lança le Discours sur l’inégalité ; vingt ans lorsque Rousseau, ayant conquis la royauté de l’opinion, la persécution et l’exil, revint chercher un asile en Suisse et se réfugia dans la principauté de Neufchâtel. L’intérêt ardent dont il fut l’objet, les yeux du monde fixés sur lui, ce phénomène d’un homme de lettres faisant oublier tous les rois, sans excepter Voltaire, l’attendrissement des femmes éplorées pour lui (on pourrait dire amoureuses), tout cela saisit Marat. Il avait une mère très sensible, très ardente, il le conte ainsi lui-même, qui, solitaire au fond de ce village de Suisse, vertueuse et romanesque, tourna toute son ardeur à faire un grand homme, un Rousseau. Elle lut très bien secondée par son mari, digne ministre, savant et laborieux, qui de bonne heure entassa tout ce qu’il put de sa science dans la tête de l’enfant. Cette concentration d’efforts eut pour résultat naturel d’échauffer la jeune tête outre mesure. La maladie de Rousseau, l’orgueil, y devint vanité, mais exaltée en Marat à la dixième puissance. Il fut le singe de Rousseau.

Il faut l’entendre lui-même (dans l’Ami du peuple de 1793) : « À cinq ans, j’aurais voulu être maître d’école, à quinze professeur, auteur à dix-huit, génie créateur à vingt. » — Plus loin, après avoir parlé de ses travaux dans les sciences de la nature (vingt