Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/407

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rempli de ses frénétiques amis, toutes les avenues, tous les passages pleins et combles d’un peuple prodigieusement exalté. Pour que la justice eût son cours, il eût fallu une bataille rangée, et il y eût eu un massacre. L’autorité craignit de ne pouvoir même protéger la vie du plaignant ; on l’empêcha de se présenter. Marat, vainqueur sans combat, se trouva avoir démontré le néant des tribunaux, de la police, de la garde nationale, de Bailly et de La Fayette.

Dès ce jour, il eut, sans conteste, une royauté de délation.

Ses transports les plus frénétiques furent sacrés ; son bavardage sanguinaire, mêlé trop souvent de rapports perfides, qu’il copiait sans jugement, fut pris comme oracle. Désormais il peut aller grand train dans l’absurde. Plus il est fou, plus il est cru. C’est le fou en titre du peuple ; la foule en rit, l’écoute et l’aime, et ne croit plus que son fou.

Il marche la tête en arrière, fier, heureux, souriant dans sa plus grande fureur. Ce qu’il a poursuivi en vain toute sa vie, il l’a maintenant ; tout le monde le regarde, parle de lui, a peur de lui. La réalité dépasse tout ce qu’il a pu, dans les rêves de la vanité la plus délirante, imaginer, souhaiter. Hier, un grand citoyen ; aujourd’hui, voyant, prophète ; pour peu qu’il devienne plus fou, ce voyant va passer Dieu.

Il va, et toutes les concurrences de la presse, se déchaînant sur sa trace, le suivent à l’aveugle dans les voies de la Terreur.