Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/392

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pour une entreprise qui ne se fit pas, et il n’avait pu les rendre. Brissot fut toute sa vie, non pas pauvre, mais indigent. Sa toute-puissance politique en 1792 ne changea rien à cela. Dans cette année même où il disposait de tout, donnait les places les plus lucratives à qui il voulait, il n’avait qu’un vieil habit noir dont les coudes étaient usés ; il logeait dans un grenier, sa femme blanchissait ses chemises. La pénurie absolue où il laissait sa famille fut pour lui, à ses derniers moments, le chagrin le plus amer.

Desmoulins reprit à sa manière le triste passé de Brissot. Aux choses vraies ou vraisemblables il en ajouta d’absurdes, qui n’en eurent pas moins d’effet. Les insinuations perfides de Robespierre, timides, voilées à demi, délayées dans son langage ennuyeux et monotone, n’avaient pu porter un grand coup. Mais, reprises une fois par Desmoulins, ce fut un fer chaud dont Brissot se trouva marqué pour toujours, marqué pour la honte, marqué pour la mort. Il y eut, il est vrai, pour le cruel pamphlétaire, une dure expiation en 1793. Le jour où fut prononcée la condamnation de Brissot et de la Gironde, dans cette funeste nuit, au moment où le jury rentra avec la sentence de mort, Desmoulins était présent et s’arrachait les cheveux. « Hélas ! criait-il, c’est moi, c’est mon Brissot dévoilé, mon Histoire des Brissotins, qui les a menés ici. »

Une main paraît partout dans ce meurtrier factum : celle de l’homme qui, à cette époque, gouvernait le mobile artiste et tournait sa plume en poignard, celle