Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/50

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singulier d’enfance, une quiétude de sainte, étrange dans cette situation. Et la petite princesse, quoiqu’elle eût à quatorze ans quelque chose du port altier de sa mère, tenait d’elle aussi l’éblouissant éclat de la beauté rousse et blonde. Cette foule, c’était des hommes (il y avait peu de femmes) ; or, il n’y avait pas d’homme, fût-il ivre, fût-il furieux, qui ne se sentît le cœur faible, dès qu’il se trouvait en présence de la jeune fleur.

Les plus furieux, on peut le dire, furent ceux qui partaient du plus loin, ceux qui n’arrivèrent pas à temps et ne virent point cette famille. Deux faits ici qui ne sont imprimés nulle part et qui font connaître assez la violente émotion de la France dès qu’elle se sut trahie.

Clouet, des Ardennes, l’un des fondateurs de l’École Polytechnique, âpre stoïcien, mais sauvage, et qui n’eut jamais d’autre amour que celui de la patrie, partit sur-le-champ de Mézières, avec son fusil ; il vint à marches forcées, à pied (il n’allait pas autrement), et fit soixante lieues en trois jours, dans l’espoir de tuer le roi. À Paris, il changea d’idée.

Un autre, jeune menuisier au fond de la Bourgogne (qui, plus tard, fixé à Paris, est devenu le père de deux savants distingués), quitta également son pays pour assister au jugement et à la punition du traître. Accueilli en route chez un maître menuisier, son hôte lui fit comprendre qu’il arriverait trop tard, qu’il ferait mieux de rester, de fraterniser avec lui, et, pour cimenter la fraternité, il lui fit épouser sa fille.