Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/75

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sentiment et ne flottaient point. Pour elles, les partis, c’étaient des religions, où elles mettaient leur cœur. Les dames royalistes aimaient avant Varennes ; après, elles adoraient ; cette grande faute et ce grand malheur n’étaient pour elles qu’une raison d’aimer davantage. La reine était devenue pour elles un objet d’idolâtrie. Elles pleuraient sous ses fenêtres ; elles auraient voulu être enfermées avec elle, comme Mme de Lamballe, à qui la reine au retour donna un anneau de ses cheveux, avec cette devise : « Blanchis par le malheur. » La pauvre petite femme, jadis mariée sans mariage, délaissée de son mari, plus tard délaissée de la reine pour la belle Polignac, restait liée à son danger, instrument docile des intrigues politiques, victime désignée de la haine populaire.

Mais le danger aussi était ce qui tentait les femmes. On en vit la preuve au premier jour que la reine put aller au théâtre, jour de lutte entre les loges royalistes et le parterre jacobin. La charmante Dugazon, dans cette arène des partis, humble servante du public et si exposée, osa pourtant profiter d’un mot de son rôle pour épancher son cœur ; elle s’avança sur la scène vers la loge royale, frémissante d’amour et d’audace, et lança ce mot qui bientôt pouvait lui coûter la vie : « Ah ! combien j’aime ma maîtresse ! »