Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/109

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puissante qui rit de la mer, l’immuable et solide assise, la montagne de granit.

Trois milliards de propriétés déjà vendues, divisées à l’infini ! trois millions d’épées tirées ! Voilà ce que j’appelle la base, le granit et la montagne. Une montagne vivante. Si elle faisait un mouvement, c’était un monde à frémir.

Non, il n’était pas nécessaire que la France devînt barbare, qu’elle fît à la peur des sacrifices humains. Elle pouvait rester juste. Clémente ? Non, le moment avait un trouble infini et de grands périls. Il fallait une justice acérée et forte, mais enfin une justice.

Robespierre dit, dans un de ses discours de janvier, que son cœur avait hésité. Je le crois, en vérité. Parole sortie de la nature, échappée, ce semble, d’une âme torturée contre elle-même. Oui, il y eut lieu d’hésiter, quand, par la mort d’un homme, coupable, il est vrai, on sentit qu’on ouvrait à la mort la vaste carrière où elle ne s’arrêterait pas.

Hélas ! dans les premiers mois de 1792, et Robespierre et tout le monde parlait encore d’humanité ! L’encre n’avait pas séché sur ces discours ardents, sincères, où tous proclamaient à l’envi l’inviolabilité de la vie humaine ; les murs les répétaient encore, et l’écho ne s’était pas tu.

Combien plus étaient-elles vivantes, ces paroles, réclamant et protestant, au fond de ces cœurs malades, forcés d’arracher d’eux-mêmes ce qui fut leur meilleure pensée ! — de passer, d’un bond si brusque, de l’humanité à la barbarie.