Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/113

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On pouvait comprendre dès lors que ce jeune homme, très jeune, ne serait pas précisément un disciple de Robespierre, qu’il marcherait du même pas ou le précéderait dans la violence, qu’un jour peut-être il serait pour lui un dangereux concurrent. Et cela fût arrivé, sans le coup de Thermidor.

L’atrocité du discours eut un succès d’étonnement. Malgré les réminiscences classiques qui sentaient leur écolier (Louis est un Catilina, etc.), personne n’avait envie de rire. La déclamation n’était pas vulgaire ; elle dénotait dans le jeune homme un vrai fanatisme. Ses paroles, lentes et mesurées, tombaient d’un poids singulier et laissaient de l’ébranlement, comme le lourd couteau de la guillotine. Par un contraste choquant, elles sortaient, ces paroles froidement impitoyables, d’une bouche qui semblait féminine. Sans ses yeux bleus fixes et durs, ses sourcils fortement barrés, Saint-Just eût pu passer pour femme. Était-ce la vierge de Tauride ? Non, ni les yeux, ni la peau, quoique blanche et fine, ne portaient à l’esprit un sentiment de pureté. Cette peau, très aristocratique, avec un caractère singulier d’éclat et de transparence, paraissait trop belle et laissait douter s’il était bien sain. L’énorme cravate serrée, que seul il portait alors, fit dire à ses ennemis, peut-être sans cause, qu’il cachait des humeurs froides[1]. Le col était comme supprimé par

  1. Chose au reste fort commune à Reims, où il séjourna longtemps. Les enfants et jeunes gens d’un tempérament lymphatique y prennent aisément ces maux, pour lesquels il a toujours existé dans cette ville un hôpital spécial.