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nulles alors, que vide, ennui, mauvaises mœurs. Il revenait de temps à autre à son village, Blérancourt, et y menait (si nous en jugeons par les vers qu’il faisait alors) la vie peu édifiante des jeunes gentilshommes de campagne. Un autre s’y fût absorbé ; Saint-Just en fit un poème[1].

L’auteur valait plus que l’œuvre. Il n’était pas né pour s’en tenir là. Il avait le goût naturel des grandes choses, une volonté très forte, une âme haute et courageuse. Il se dévorait lui-même, dans cette vie de néant. On dit qu’à Reims il avait tendu sa chambre à coucher d’une tenture noire à larmes blanches, fermant les croisées, passant de longues heures dans cette sorte de sépulcre, comme s’il se fût plu à croire qu’il était mort et déjà dans l’Antiquité. Les morts héroïques de Rome hantaient cette chambre, cette jeune âme violente. Il se répétait ce mot : « Le monde est vide depuis les Romains. » Et il avait hâte de le remplir.

Pour sortir de la province et percer au jour, il

  1. Il croyait imiter Voltaire, ne sachant pas que la Pucelle est une satire politique plus encore que libertine, relevée par l’audace et par le péril. Si Latude passa trente années dans un cul de basse-fosse pour une simple plaisanterie, il faut reconnaître l’audace intrépide de celui qui, chassé d’État en État, n’ayant ni patrie ni foyer, hasardait ces vives attaques aux rois, aux maîtresses des rois. — L’Organt n’est pas en général un poème libertin ni obscène ; il y a seulement trois ou quatre passages d’une obscénité brutale. Ce qui y est partout, ce qui ennuie et fatigue, c’est l’imitation laborieuse des esprits les plus faciles qui aient jamais été, de Voltaire et de l’Arioste. L’auteur semble viser à la légèreté de la jeune noblesse, et sans doute il compte sur son livre pour s’y enrôler. Cette œuvre, d’un cynisme calculé, témoigne peut-être moins de libertinage que d’ambition. — L’Organt de 1792 n’est, dit-on, qu’une réimpression avec un titre nouveau. Je n’ai pu me procurer que celui de 1789.