Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/219

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à la supériorité du jugement populaire, et pensaient, conformément aux leçons des philosophes, leurs maîtres, que la sagesse du peuple, c’est la sagesse absolue.

Oui, dans l’ensemble des siècles, la voix du peuple, au total, c’est la voix de Dieu, sans doute ; mais pour un temps, pour un lieu, pour une affaire particulière, qui oserait soutenir que le peuple est infaillible ?

En affaire judiciaire surtout, le jugement des grandes foules est singulièrement faillible. Prenez des jurés, prenez un petit nombre d’hommes du peuple, à la bonne heure ; isolez-les de la passion du jour ; ils suivront naïvement le bon sens et la raison. Mais un peuple entier en fermentation, c’est le moins sûr peut-être, le plus dangereux des juges. Un hasard infini, inaccessible à tout calcul, plane sur ces décisions, incertaines et violentes ; nul ne peut savoir ce qui sortira de cette urne immense où vont s’engouffrer les orages. La guerre civile en sortira, bien plutôt que la justice.

La Montagne n’osait s’exprimer nettement sur cette première pensée, l’incapacité judiciaire d’une nation prise en masse ; elle n’osait dire que la seconde et la lançait aux Girondins : « Vous voulez la guerre civile ! »

Robespierre, dans son discours, établit, d’une manière forte et vraiment politique, le danger, l’absurdité de renvoyer la décision à quarante-quatre mille tribunaux, de faire de chaque commune une arène de disputes, peut-être un champ de bataille.