Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mauvaise conduite, demanda elle-même au général de la défendre contre ses tentations et de proclamer la peine de mort contre l’indiscipline et le pillage.

Danton, envoyé en Belgique, échappé à la situation double qui l’annulait à Paris, était tombé dans des difficultés plus grandes peut-être. Nul moyen d’accorder Dumouriez avec le ministre, avec la Révolution. Les amis, publics ou secrets, du général étaient les banquiers, les aristocrates, les prêtres. Ce que Danton avait à faire, c’était, en opposition, de tendre à l’excès le nerf de la Révolution. C’est ce qu’il fît, surtout à Liège. Ce vaillant peuple, qui, de lui-même, avait conquis la liberté, qui se l’était vu arracher, qui était France de cœur, et vota pour être France jusqu’au dernier homme, reçut Danton comme un dieu. Il s’établit au milieu des forgerons d’outre-Meuse, soufflant le feu, forgeant l’épée, fondant l’argent des églises pour les besoins de l’armée ; saints et saintes passaient au creuset. Les paroles étaient terribles, meurtrières, les actes humains ; il sauvait des hommes en dessous[1]. Chez ce peuple

  1. Rouget de Lisle a conté le fait suivant à notre illustre Béranger, qui me l’a redit. Dans une ville de Belgique, subitement occupée par nos armées dans cette invasion rapide, se trouvait un pauvre diable d’émigré qui s’était fait épicier. Il se mourait de peur, mais comment partir ? Il s’adresse à l’auteur de la Marseillaise. Rouget, alors aide de camp du général Valence, s’entremet près des commissaires de la Convention pour en tirer un passeport. Sa répugnance était extrême pour Danton ; il aima mieux s’adresser à Camus. L’aigre janséniste le refusa net. Rouget ne savait plus que faire. L’émigré avait tant peur, il supplia tellement Rouget, que celui-ci alla enfin chez ce terrible Danton ; il lui conta piteusement sa mésaventure, la dureté de l’homme de Dieu. « C’est bien fait, lui dit Danton ; pourquoi allez-vous aux dévots ? Que