Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/264

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semblée. Restait la Montagne. Mais la Montagne, toute bruyante, tonnante et rugissante qu’elle fût, n’en subissait pas moins la pression du dehors, l’oppression jacobine. Le grand corps des Jacobins, puissant instrument révolutionnaire, ne servait la Révolution qu’en dénaturant son esprit, y mettant un esprit contraire, l’esprit de police et d’inquisition, l’esprit même de la tyrannie. La Révolution, entrant dans le jacobinisme, périssait infailliblement dans un temps donné ; elle y trouvait une force, mais elle y trouvait une ruine, comme ces malheureux sauvages qui n’ont, pour remplir leur estomac, que des substances vénéneuses ; ils trompent un moment la faim, ils mangent, mais mangent la mort.

Voilà, sans nul doute, la pensée terrible dont ce pénétrant génie fut assailli, terrassé. Il vit distinctement ce que d’autres, moins clairvoyants, commençaient à apercevoir, que la droite était perdue,

    néanmoins, de ce côté, la mère duchesse, l’amazone des bandes jacobines, quand elle n’entendait pas résonner fortement le mot mort, faisait des longs : « Ah ! ah ! » — Les hautes tribunes destinées au peuple ne désemplissaient pas d’étrangers, de gens de tout état ; on y buvait du vin, de l’eau-de-vie, comme en pleine tabagie. Les paris étaient ouverts dans tous les cafés voisins. » — « L’ennui, l’impatience, la fatigue, caractérisaient presque tous les visages. Chaque député montait à son tour à la tribune. C’était à qui dirait : « Mon tour approche-t-il ? » On fit venir un député malade ; il vint affublé de son bonnet de nuit et de sa robe de chambre ; cette espèce de fantôme fit rire l’Assemblée. » — « Passaient à cette tribune des visages rendus plus sombres par de pâles clartés, et qui, d’une voix lente et sépulcrale, ne disaient que ce mot : « La mort ! » Toutes ces physionomies qui se succédaient, tous ces tons, ces gammes différentes ; d’Orléans, hué, conspué, lorsqu’il prononça la mort de son parent ; puis les autres calculant s’ils auraient le temps de manger avant d’émettre leur opinion, tandis que des femmes, avec des épingles, piquaient des cartes, pour comparer les votes ; des députés qui tombaient de sommeil et qu’on réveillait pour prononcer », etc.