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faire un saint[1]. — Ainsi le lit, le berceau, les plus doux mystères que couve une âme chaste et amoureuse, tout cela est aux anciens dieux.


Les Esprits ne sont pas ingrats. Un matin, elle s’éveille, et, sans mettre la main à rien, elle trouve le ménage fait. Elle est interdite et se signe, ne dit rien. Quand l’homme part, elle s’interroge, mais en vain. Il faut que ce soit un esprit. « Quel est-il ? et comment est-il ?… Oh ! que je voudrais le voir !… Mais j’ai peur… Ne dit-on pas qu’on meurt à voir un esprit ? » — Cependant le berceau remue, et il ondule tout seul… Elle est saisie, et entend une petite voix très douce, si basse, qu’elle la croirait en elle : « Ma chère et très chère maîtresse, si j’aime à bercer votre enfant, c’est que je suis moi-même enfant. » Son cœur bat, et cependant elle se rassure un peu. L’innocence du berceau innocente aussi cet esprit, fait croire qu’il doit être bon, doux, au moins toléré de Dieu.


Dès ce jour, elle n’est plus seule. Elle sent très-bien sa présence, et il n’est pas bien loin d’elle. Il vient de raser sa robe ; elle l’entend au frôlement. À tout instant, il rôde autour et visiblement ne peut la quitter. Va-t-elle à l’étable, il y est. Et elle croit que, l’autre jour, il était dans le pot à beurre[2].

  1. A. Maury, Magie, 159.
  2. C’est une des retraites favorites du petit friand. Les Suisses, qui connaissent son goût, lui font encore aujourd’hui des présents de lait. Son nom, chez eux, est troll (drôle) ; chez les Allemands, kobold, nix ; chez les