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outre les fenêtres. Elle continua presque jusqu’à l’aube, près de ses frères qui dormaient. Elle reprit le lendemain sous la tonnelle de vigne, parlant à ravir de Dieu, des plus hauts mystères. Le carme était stupéfait, se demandait si le Diable pouvait si bien louer Dieu.

Son innocence était visible. Elle semblait bonne fille, obéissante, douce comme un agneau, folâtre comme un jeune chien. Elle voulut jouer aux boules (jeu ordinaire dans les bastides), et il ne refusa pas de jouer aussi.

Si un esprit était en elle, on ne pouvait dire du moins que ce fût un esprit de mensonge. En l’observant de près, longtemps, on n’en pouvait douter, ses plaies réellement saignaient par moments. Il se garda bien d’en faire, comme Girard, d’impudiques vérifications. Il se contenta de voir celle du pied. Il ne vit que trop ses extases. Une vive chaleur lui prenait tout à coup au cœur, circulait partout. Elle ne se connaissait plus, entrait dans des convulsions, disait des choses insensées.

Le carme comprit très bien qu’en elle il y avait deux personnes, la jeune fille et le démon. La première était honnête, et même très neuve de cœur, ignorante, quoi qu’on lui eût fait, comprenant peu les choses même qui l’avaient si fort troublée. Avant sa confession, quand elle parla des baisers de Girard, le carme lui dit rudement : « Ce sont de très-grands péchés. — Ô mon Dieu ! dit-elle en pleurant, je suis donc perdue, car il m’a fait bien d’autres choses. »

L’évêque venait la voir. La bastide était pour lui un but de promenade. À ses interrogations, elle