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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

emporté avec lui l’estime de ses adversaires, spécialement de Robert Lindet[1].

  1. Nous ne résistons pas au plaisir de copier le portrait que Lémontey fait de Mme Roland :

    « J’ai vu quelquefois, dit-il, Mme Roland avant 1789 : ses yeux, sa taille et sa chevelure étaient d’une beauté remarquable, et son teint délicat avait une fraîcheur et un coloris qui, joints à son air de réserve et de candeur, la rajeunissaient singulièrement. Je ne lui trouvai point l’élégance aisée d’une Parisienne, qu’elle s’attribue dans ses Mémoires ; je ne veux point dire qu’elle eût de la gaucherie, parce que ce qui est simple et naturel ne saurait jamais manquer de grâce. Je me souviens que, la première fois que je la vis, elle réalisa l’idée que je m’étais faite de la petite-fille de Vevey, qui a tourné tant de têtes, de la Julie de J.-J. Rousseau ; et, quand je l’entendis, l’illusion fut encore plus complète. Madame Roland parlait bien, trop bien. L’amour-propre aurait bien voulu trouver de l’apprêt dans ce qu’elle disait ; mais il n’y avait pas moyen c’était simplement une nature trop parfaite. Esprit, bon sens, propriété d’expressions, raison piquante, grâce naïve, tout cela coulait sans étude entre des dents d’ivoire et des lèvres rosées ; force était de s’y résigner. Dans le cours de la Révolution je n’ai revu qu’une seule fois Mme Roland ; c’était au commencement du premier ministère de son mari. Elle n’avait rien perdu de son air de fraîcheur, d’adolescence et de simplicité ; son mari ressemblait à un quaker dont elle eut été la fille, et son enfant voltigeait autour d’elle avec de beaux cheveux flottant jusqu’à la ceinture ; on croyait voir des habitants de la Pensylvanie transplantés dans le salon de M. de Calonne. Mme Roland ne parlait plus que des affaires publiques, et je pus reconnaître que ma modération lui inspirait quelque pitié. Son âme était exaltée, mais son cœur restait doux et inoffensif. Quoique les grands déchirements de la monarchie n’eussent point encore eu lieu, elle ne se dissimulait pas que des symptômes d’anarchie commençaient à poindre, et elle promettait de la combattre jusqu’à la mort. Je me rappelle le ton calme et résolu dont elle m’annonça qu’elle porterait, quand il le faudrait, sa tête sur l’échafaud ; et j’avoue que l’image de cette tête charmante abandonnée au glaive du bourreau me fit une impression qui ne s’est point effacée, car la fureur des partis ne nous avait pas encore accoutumé à ces effroyables idées. Aussi, dans la suite, les prodiges de la fermeté de Mme Roland et l’héroïsme de sa mort ne me surprirent point. Tout était d’accord et rien n’était joué dans cette femme célèbre ; ce ne fut pas seulement le caractère le plus fort, mais encore le plus vrai de notre Révolution ; l’histoire ne la dédaignera pas, et d’autres nations nous l’envieront. »