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INDIFFÉRENCE À LA VIE

etc. Le mot vie succéda en 95 : « Coulons la vie !… Manquer sa vie », etc.

On frémissait de la manquer, on la saisissait au passage, on en économisait les miettes. On en volait au destin tout ce qu’on pouvait dérober. De respect humain aucun souvenir. La captivité était, en ce sens, un complet affranchissement. Des hommes graves ; des femmes sérieuses, se livraient aux folles parades, aux dérisions de la mort. Leur récréation favorite était la répétition préalable du drame suprême, l’essai de la dernière toilette et les grâces de la guillotine. Ces lugubres parades comportaient d’audacieuses exhibitions de la beauté, on voulait faire regretter ce que la mort allait atteindre. Si l’on en croit un royaliste, de grandes dames humanisées, sur des chaises mal assurées hasardaient cette gymnastique. Même à la sombre Conciergerie, où l’on ne venait guère que pour mourir, la grille tragique et sacrée, témoin des prédications viriles de Mme Roland, vit souvent, à certaines heures, des scènes bien moins sérieuses ; la nuit, la mort en gardaient le secret.

De même que, l’assignat n’inspirant aucune confiance, on hâtait les transactions, l’homme aussi n’étant pas plus sûr de durer que le papier, les liaisons se brusquaient, se rompaient, se reformaient avec une mobilité extraordinaire. L’existence, pour ainsi parler, était volatilisée. Plus de solide, tout fluide, et bientôt gaz évanoui.

Lavoisier venait d’établir et démontrer la grande idée moderne solide, fluide et gazeux, trois formes d’une même substance.