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l’utilitarisme

corollaires ont une force d’obligation plus grande que celle du théorème primitif, et que la construction est plus solide sans sa base qu’avec elle. On se dit intérieurement : je suis tenu à ne pas voler, à ne pas assassiner, à ne trahir personne ; mais pourquoi dois-je aider au bonheur général ! Si mon bonheur personnel repose sur quelque autre chose, pourquoi ne pas la chercher de préférence ?

Si l’idée que se fait l’utilitarisme de la nature du sens moral est juste, cette difficulté existera tant que les influences qui forment le caractère moral n’auront pas sur les principes le même empire que sur les conséquences, tant que l’éducation n’aura pas enfoncé dans notre cœur le sentiment de notre union avec les autres hommes (telle que devait l’entendre le Christ) ; tant que ce sentiment ne sera pas aussi fortement enraciné en nous que l’horreur du meurtre dans l’esprit d’une jeune fille bien élevée. Cette difficulté n’est pas particulière à la doctrine de l’utilité ; elle est inhérente à toute tentative faite pour analyser la morale et la réduire en principes ; car les principes, à moins qu’ils n’aient pour l’esprit le même caractère sacré que leurs applications, semblent toujours dépouiller ces applications d’une partie de leur sainteté.