Page:Milosz - Poèmes, 1929.djvu/67

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J’avais longtemps couru le monde avec mon frère
Sans repos ; j’avais veillé avec l’angoisse
Dans toutes les auberges de ce monde. Maintenant, j’étais là,
Tête blanche déjà comme le frère nuage. Et il n’y avait plus personne.

L’écho d’un pas, le trot de la vieille souris m’eût été doux,
Car ce qui me mangeait le cœur ne faisait pas de bruit.
J’étais comme la lampe de la mansarde au petit jour,
Comme le portrait dans l’album de la prostituée.

Parents et amis étaient morts. Toi, ma sœur, tu étais plus loin
Que le halo dont se couronne en janvier clair
La mère de la neige. Et tu me connaissais à peine.
Quand tu parlais, je tressaillais d’entendre la voix de mon cœur.

Mais tu ne m’avais rencontré qu’une fois, une seule,
Dans la lumière étrange des lampes d’apparat
Entre les fleurs de nuit, et il y avait là des courtisans dorés
Et je ne dis adieu qu’à ton reflet dans le miroir.

La solitude m’attendait avec l’écho
Dans l’obscure galerie. Une enfant était là
Avec une lanterne et une clef
De cimetière. L’hiver des rues

Me souffla une odeur misérable au visage.
Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;


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