Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/29

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vions assez inexpérimentés à manier la rame. Un canot d’écorce de bouleau est si léger sur l’eau qu’il suffit d’une bouffée de vent pour le faire dériver comme une coquille de noix ; et quand le vent vous est contraire, ramer est un travail aussi lent que fatigant. Mais, au bout de peu de temps, nos progrès étaient merveilleux. Milton avait une longue pratique de cet art, et les deux autres avaient souvent dirigé de légères et agiles embarcations sur l’Isis et la Cam[1]. Nous descendions donc assez agréablement, pagayant à notre aise et flottant tranquilles, à l’aide d’un courant paresseux. La journée était chaude et brillante. Nous recherchions l’ombre gracieuse des arbres qui ornaient les rives des deux côtés ; le silence des bois n’était interrompu que par le bruit de nos avirons, les sauts des poissons ou les cris de quelque oiseau ; l’écureuil se jouait et gazouillait au milieu des rameaux des arbres, le pic moucheté frappait de son bec le tronc creux, et, perchés sur la cime la plus élevée de quelque géant desséché de la forêt, l’aigle et le faucon jetaient leurs cris rudes et discordants. Çà et là, le long des rives, des essaims de loriots[2] noirs et dorés se groupaient dans les buissons ; le martin-pêcheur au gai plumage voltigeait en passant ; des canards et des oies nageaient sur l’eau, et le pigeon à longue queue d’Amérique s’élançait comme une f1èche au-dessus des arbres. À l’approche de la nuit, des centaines de hiboux huaient autour de nous ; le whip-poor-will (on fouette le pauvre Guillaume) nous faisait tressaillir par la fréquence et la rapidité de ses appels, et le plus mélancolique de tous les oiseaux, le plongeon imbrim, éjaculait ses lamentations lugubres sur le bord d’un lac voisin. Ces scènes et ces rumeurs sauvages, jointes à l’étrange sensation de la liberté, de l’indépendance

  1. L’Isis passe près de Cirencester et se réunit en amont d’Oxford à la Thame, pour former la Tamise. La Cam arrose l’îIe d’Ely, de célèbre mémoire, et passe à Cambridge. (Trad.)
  2. Le dictionnaire scientifique de Bouillet nie l’existence du loriot en Amérique. (Trad.)