Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/36

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posant que nous pussions, au milieu des ténèbres complètes qui nous enveloppaient, trouver le bord, il y avait peu d’apparence que nous fussions en état d’en gravir les talus glissants. Nous n’avions donc rien à faire que d’affronter la tempête jusqu’au lever du jour. En conséquence, nous attachâmes les deux canots l’un à l’autre et nous nous livrâmes à la fureur des éléments. Il ne fut pas facile d’amarrer bord à bord nos esquifs ; mais, grâce à des appels réitérés, en mettant à profit les illuminations momentanées que produisaient les éclairs, nous finîmes par y parvenir. Treemiss, couché sur l’avant, surveillait attentivement la marche, tandis que nous, assis à l’arrière, nous essayions de la diriger. Chaque fois qu’un éclair jetait sa lueur pour un instant devant nous, il pouvait signaler les rochers et les saillies que nous avions en tête ; alors nous, par un vigoureux coup d’aviron, nous évitions les brisants pendant l’intervalle d’obscurité qui suivait.

Après une courte période d’aveuglement, un autre éclair venait nous montrer que nous n’avions évité un danger que pour nous avancer vers un autre, qui était à quelques mètres de nous. Les heures succédèrent ainsi aux heures. La tempête rugissait toujours avec la même fureur et la pluie ne cessait pas de tomber par torrents. En vain, nous recherchions avec anxiété à découvrir la première lueur annonçant le jour. La nuit semblait ne vouloir pas finir. Les canots se remplissaient d’eau peu à peu ; nous en avions presque jusqu’à la poitrine ; à peine si les plats-bords surmontaient le fleuve. Bientôt nous doutâmes qu’ils pussent flotter jusqu’à l’aurore.

L’air de cette nuit était froid et humide. Dans notre involontaire bain de siége, avec la pluie qui nous fouettait en tous sens, nous frissonnions de la tête aux pieds ; nos dents claquaient, et c’est à peine si nos mains engourdies pouvaient tenir les rames. Cependant, malgré les sentiments de désespoir qui parfois nous portaient à nous abandonner au hasard, nous n’o-