Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/104

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purs esprits, cependant peu inférieures aux brillants esprits célestes. Mes pensées s’attachent à elles avec surprise ; je pourrais les aimer, tant la divine ressemblance éclate vivement en elles, et tant la main qui les pétrit a répandu de grâces sur leur forme ! Ah ! couple charmant, vous ne vous doutez guère combien votre changement approche ; toutes vos délices vont s’évanouir et vous livrer au malheur : malheur d’autant plus grand que vous goûtez maintenant plus de joie ! Couple heureux ! mais trop mal gardé pour continuer longtemps d’être si heureux : ce séjour élevé, votre ciel est mal fortifié pour un ciel, et pour forclore un ennemi tel que celui qui maintenant y est entré : non que je sois votre ennemi décidé ; je pourrais avoir pitié de vous ainsi abandonnés, bien que de moi on n’ait pas eu pitié.

« Je cherche à contracter avec vous une alliance, une amitié mutuelle, si étroite, si resserrée, qu’à l’avenir j’habite avec vous, ou que vous habitiez avec moi. Ma demeure ne plaira peut-être pas à vos sens autant que ce beau paradis ; cependant telle qu’elle est, acceptez-la ; c’est l’ouvrage de votre Créateur, il me donna ce qu’à mon tour libéralement je donne. L’enfer, pour vous recevoir tous les deux, ouvrira ses plus larges portes, et enverra au-devant de vous tous ses rois. Là vous aurez la place que vous n’auriez pas dans ces enceintes étroites, pour loger votre nombreuse postérité. Si le lieu n’est pas meilleur, remerciez celui qui m’oblige, malgré ma répugnance, à me venger sur vous qui ne m’avez fait aucun tort, de lui qui m’outragea. Et quand je m’attendrirais à votre inoffensive innocence (comme je le fais), une juste raison publique, l’honneur, l’empire que ma vengeance agrandira par la conquête de ce nouveau monde, me contraindraient à présent de faire ce que sans cela j’abhorrerais, tout damné que je suis. »

Ainsi s’exprima l’ennemi, et par la nécessité (prétexte des tyrans) excusa son projet diabolique.

De sa haute station sur le grand arbre, il s’abattit parmi le